Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 9 novembre, 2007

Nuit électrique

Posté : 9 novembre, 2007 @ 8:59 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 1 commentaire »

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Piet Mondrian, Pommiers en fleurs

C’est une nuit d’apparat. La lune de corail s’élève de derrière la montagne d’os, puis dans l’échancrure des créneaux. Encore des fleurs – toutes les branches fleurissent. On sent, on entend presque, la douleur des arbres, des êtres végétatifs, de devoir se hâter, modifier leur vie lente, éparpillés en tendresse.
- Je l’ai perdue, j’ai perdu la vie ! je l’ai oubliée comme tout le reste. Je l’ai perdue, et deux jours de plus et j’aurais supprimé la mort !
Sous le fluide électrique le jardin passe une nuit blanche. Il tombe de la neige et les premiers boutons s’ouvrent. L’arbre se transforme en un être meurtri et splendide – il se transforme en rêve – en rêve répandu en fleur, en fleurs comprimées les unes derrière les autres par couches successives. Des branches pressées coule de la douleur. Jusqu’aux pierres dont sourd de l’encre. Le rêve coule du jardin comme de l’âme de Gabirou. Ils se risquent et réveillent les choses pourries, les vieilles pierres trompées se mettent à chanter de ce chant triste du crapaud, qui sort de la laideur comme une inutile plainte de malheur. La nuit concave et blanche – glacée – recouvre tout cela avec indifférence. Que ne recouvre pas la nuit ? Quatre murs noirs, au fond remue le rêve. Je perds aussi la notion de la réalité.
- Toutes ces fleurs !
- Pour sa tombe.
Et posant sur moi des yeux étonnés :
- Ce qu’il faut, c’est aller les chercher au fond du désordre, les arracher à l’obscurité, joindre de nouveau les bouches éparses. Ne pas mourir n’est rien : je vais les ressusciter…

Raul Brandão, Húmus, première édition 1907

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La légende de Frei Gil

Posté : 9 novembre, 2007 @ 7:06 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Sabin Corneliu Buraga, L’amour et le diable

- Mélanger une légende, quelque chose d’imaginaire, avec l’histoire réelle, récente, par-dessus le marché celle du cinéma, qui est une technologie, peut-être discutable.
- Eh bien, je n’ai pas envisagé ça.
- Mais vous pensez que c’est un sujet d’actualité ?
Orlando ébaucha un geste vague :
- L’actualité est une notion subjective. Est-ce que la première guerre mondiale est un sujet d’actualité ?
La journaliste insista :
- Mais pourquoi le mythe de Faust ? Il n’est même pas portugais !
- Ce que je suis en train de tourner n’a rien à voir avec le mythe de Faust.
La journaliste ouvrit un dossier contenant des papiers variés :
- C’est écrit ici dans le dossier que vous avez envoyé à la presse.

Lisant :- « Un épisode de la vie de Saint Frère Gil de Santarém, le Faust portugais… »
Orlando s’énerva :
- Ce n’est pas moi qui ai écrit ça, et c’est faux. Si vous préférez, c’est Faust qui est le Frère Gil allemand.
La journaliste réfléchit quelques secondes, et demanda :
- Vous pouvez m’expliquer un peu mieux ?
- C’est la faute d’Almeida Garrett, qui dans Voyages dans mon Pays a résumé en deux pages l’histoire de Frère Gil de Santarém et l’appelle « notre docteur Faust ». Par la suite beaucoup ont répété ce qu’il avait dit, jusqu’à Théophile Braga qui a composé un long poème pseudo philosophique intitulé : « Frère Gil de Santarém » : il n’a pas résisté à l’appât et l’a désigné comme « une légende faustienne ». C’est exactement le contraire !
- Le contraire ? Vous voulez dire, alors, que votre film n’est pas une légende faustienne ?
- Bien sûr que non ! le docteur Johann Faustus, qui a réellement existé, a vécu en Allemagne au seizième siècle, vous voyez, trois cents ans après notre Frère Gil, c’est la légende de Faust qui reproduit la légende de Gil Rodrigues…

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