Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour décembre, 2007

paradoxes

Posté : 29 décembre, 2007 @ 7:30 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 3 commentaires »

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Gitans à la fontaine (Tissu appliqué d’Evelyne Régnault)

L’histoire de la lutte des classes, cependant, a été à ce propos plus troublante qu’éclairante pour moi. Mon arrière-grand-oncle aurait été un gros propriétaire, exploiteur d’une main d’œuvre pratiquement réduite en esclavage. J’ai connu plus tard les descendants de ces travailleurs, dans la maison de mon grand-père, où ils ne dépassaient pas le seuil pour décharger leurs ânes, sur lesquels arrivaient les légumes et les fruits des terres qu’ils travaillaient, et dont ils tiraient à peine plus du nécessaire à leur quotidien. Les comptes étaient toujours faits de façon à soustraire à leurs poches déjà vides ; et si cela, pour moi, était une contingence de l’époque que rien ne paraissait susceptible de changer, la lecture des Principes élémentaires de Philosophie de Politzer et de La Guerre civile d’Espagne de Hugh Thomas éveillait tout de même mon esprit à une réalité que, dans ma formation bourgeoise, j’équilibrais par les réactionnaires Berdiaef et Sartre, et le Concept de l’Angoisse de Kierkegaard, où le rêve collectif s’anéantissait contre le mur de la méditation individuelle.

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Charité

Posté : 26 décembre, 2007 @ 9:10 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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D’un coup d’œil, Marciana jaugea le clochard. Elle pensa que même s’ils le lavaient, même frotté et désinfecté, il ne passerait jamais pour l’un des leurs. Quand ils s’assirent dans la salle de séjour, Pereira au bout du canapé, les poings raides appuyés sur les genoux, Miguel avec ses baskets sur la table basse au plateau en verre, Marciana eut un haut-le-cœur, elle ressentit une onde de panique, et elle ne pensait même pas encore à ce qu’elle allait dire à son mari, à ses frères et à ses belles-sœurs. Elle supputait la meilleure manière de nettoyer la moquette et le temps que mettrait l’odeur de poubelle que dégageait généreusement Pereira à s’évaporer dans l’air. Elle savait qu’ils lui avaient gâché son dîner de Noël et elle n’avait aucune idée de ce qu’elle pouvait faire ensuite.
- Peut-être que monsieur Pereira aimerait prendre un bain, se changer. J’ai un costume de ton père qui devrait lui aller.
Miguel trouva cela bien et l’indigent ne fit pas d’opposition. Au moment où l’homme sortit de la pièce où brûlait la cheminée, Marciana désodorisa l’air et brossa le canapé, à la recherche de la puce occasionnelle, du pou hideux, d’autres insectes sans nom qui s’accrochent à la pauvreté.
C’est que Miguel, élevée dans l’athéisme le plus libertin, traversait à quinze ans une phase de christianisme primitif. Déjà en novembre il avait commencé à attaquer l’hypocrisie de l’esprit de natalité, dénoncé la société de consommation, taxé de cynisme ses parents, ses oncles et tantes, les prêtres, ses professeurs, les personnages publics – jusqu’au Pape ! – et annoncé que les choses allaient se passer autrement ce Noël-ci. Marciana prenait son fils au sérieux, car c’était un garçon dont les convictions étaient fermes, bien que naturellement peu durables, et qui non seulement prenait à la lettre les idées générales, mais les mettait en pratique de façon radicale. Marciana avait craint le pire. Elle avait eu peur qu’il ne vienne pas passer la veillée de Noël en famille. Finalement le pire possédait un superlatif – Miguel était arrivé accompagné d’un inconnu qui puait le vin et la misère et qui avait apprécié, d’un regard excessivement sobre, non seulement la maîtresse de maison, mais aussi l’argenterie et la porcelaine. Marciana avait noté mentalement qu’il lui faudrait réserver un moment de la semaine suivante à faire changer les serrures.

Luísa Costa Gomes, Assis dans le désert, in Antologia do conto português, Dom Quixote, 2002

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Nostalgie

Posté : 22 décembre, 2007 @ 7:02 dans musique et chansons, vidéos documentaires | 1 commentaire »

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Paulo Flores (Angola), Saudades

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A perte de vue

Posté : 19 décembre, 2007 @ 6:26 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 1 commentaire »

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Printemps en Alentejo (Photo CL)

si j’étais seul on ne me verrait jamais ici, je resterais tranquillement chez moi (1), il y en a qui viennent là-bas rien que pour voir la plaine, c’est une étendue de terre qui réconforte, ceux de la ville (2) ont tout acheté, comme ce n’est pas loin ils s’évadent vers là-bas, ils se collent dans le ferry et il ne reste plus qu’un peu de bonne route à faire après, je n’ai jamais pu me coller sur le ferry avec la voiture, j’ai peur qu’il s’enfonce avec tout ce poids, j’y suis allé une fois comme passager et ça m’a bien plu de traverser le fleuve, j’avais peur parce que si le ferry coulait je coulais avec, quand j’étais à l’armée j’ai passé treize jours sous l’eau, c’est ce qui m’a le plus fait peur, treize jours à ne voir que de l’eau, ce qui me plaît c’est d’être chez moi, si un jour vous passez par là-bas, il dit le nom de son village [...], qu’il allait souvent par là-bas, après la petite église au bord de la route on arrive en vue d’une étendue de terre dont les yeux ne voient pas la fin, quand c’est le moment des moissons et s’il y a un peu de vent je vous assure que vous n’avez jamais rien vu d’aussi beau, et il y a les champs de lavande, et de tournesols, cria le gamin du siège arrière, le père continua, j’aime aussi la terre qui attend la semence, j’aime mieux la terre que la mer, la mer c’est pour les poissons, quand je serai à la retraite je planterai des oliviers, ce sont les plus beaux arbres que je connaisse, j’ai encore beaucoup d’années à faire avant la retraite mais quand j’y serai je vais planter des oliviers dans un bout de terrain que j’ai là-bas, ou alors, on ne sait jamais comment on sera d’ici dix ans, si ça se trouve je n’aurai plus la force de tenir la bêche, mais quand je serai à la retraite je vais…

Dulce Maria Cardoso, Coeurs arrachés (Campo de sangue) Phébus, 2004

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[1] En Alentejo[2] Lisbonne stats site 

Interrogatoire

Posté : 14 décembre, 2007 @ 7:15 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

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C’est ainsi, frère aimé, que l’on m’a amené le premier prévenu, qui était un tailleur de la ville, homme dont on disait que les capitaux étaient convenables et la réputation bonne. Certains murmuraient qu’il avait des sympathies pour les hérétiques, il était l’un de ceux tenus en tel soupçon qui n’avait pas été détenu par les enquêteurs venus ici avant moi. Alors que je me trouvais à la Collégiale, dans l’une des dépendances que j’avais choisie pour les interrogatoires, j’ai vu arriver ledit tailleur qui avait été mis aux fers, la tête blessée par les coups, brutalement poussé par les soldats de l’escorte qui l’amenaient et l’abreuvaient de noms honteux et méchants, qu’on ne peut donner à un homme. Voyant cela, je me suis levé, très en colère – que le Seigneur me pardonne de m’être laissé posséder par ce péché mortel – et aussitôt j’ai demandé aux hommes de l’escorte pourquoi ils m’amenaient le tailleur de cette manière.
‘Pourquoi amenez-vous le tailleur de cette manière ?’ ai-je demandé.
Les hommes de l’escorte se sont regardés sans comprendre, puis l’un d’eux a répondu.
‘Parce que c’est un suspect, parce que c’est peut-être un membre de la confrérie, comme ceux qui vous ont attaqué’, a-t-il répondu.
Je leur ai dit qu’en vérité nous ne savions pas s’il en était un.
‘Nous ne savons pas s’il l’est, pas plus que nous ne savons si les autres en étaient’, leur ai- je dit.
‘Vous traiterez les créatures avec plus de miséricorde’, leur ai- je dit encore, et je leur ai donné l’ordre d’ôter les fers au tailleur, et de se retirer, de me laisser seul avec lui et le scribe. Les hommes de l’escorte, parlant encore une fois, ont considéré ma volonté comme une grande imprudence.

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Requête

Posté : 12 décembre, 2007 @ 7:00 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture | Pas de commentaires »

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«Ô très honorable, discret, sage, estimé et redouté Seigneur de Ceuta, comte Dom Ilham, monsieur mon père, moi, Alataba, votre fille déshonorée, je me recommande de qui, à qui et par qui est le véritable commandement de toutes les choses. La fille déshonorée est celle du bon père. Je vous baise les mains et je veux que vous sachiez, monsieur mon père, que, pensant m’avoir envoyée à la cour du roi Rodrigue pour votre plus grand honneur et mon grand privilège, c’est le contraire qui s’est produit, car vous avez fait ma perte et votre déshonneur : le roi Rodrigo, bien que contre mon gré et pour son plaisir, a couché avec moi. C’est pourquoi je vous prie, monsieur, au nom de Dieu et de la pitié, de m’envoyer chercher ; sinon, croyez bien que je prendrai ma vie de ma propre main, car je préférerais mourir cent fois que demeurer un jour de plus chez le roi Rodrigo. C’est pourquoi, monsieur mon père, je ne vous enverrai pas d’autre requête ; mais, si vous tenez à ma vie, envoyez-moi chercher, car si je ne voyais ma mère, certainement je ne voudrais plus vivre.»

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Encore une surprise…

Posté : 9 décembre, 2007 @ 8:20 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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(L’écrivain Lourival vient de voir arriver dans sa petite maison à la campagne… Alexandre le Grand. Mais on a frappé de nouveau à la porte…)

- Vale, dit le nouvel arrivant, levant subtilement la main droite, les yeux pleins d’ironie.
- Ave César, répondit immédiatement Lourival, dans un réflexe conditionné qui lui venait du De Bello Gallico de sa lointaine troisième.
Jules César fit un pas en avant, releva la toge qui le couvrait d’une main dont le dos portait une longue cicatrice, écarta de la même main la chaise de la table, et s’assit en face du grec puant, chef d’armée et de conquêtes.
Lourival, prêt à tout, s’empara du pain somptueux et d’une bouteille de vin du pays qui se trouvait sur le sol, tout à côté de la porte de la cuisine, prit la posture qui lui semblait la plus digne et posa les provisions sur la table.
Les visiteurs conversaient.
Lourival ne comprit pas un mot. Cela n’avait rien à voir avec ce qu’il avait appris au lycée et ailleurs. On aurait dit une langue vivante, chantante, inattendue. Il alla jusqu’à la porte, surveiller le temps et s’assurer de l’endroit où il se trouvait.
Là dehors, le murmure des pins continuait. Le soleil descendait, distant et familier, laissant planer paresseusement une légère coloration de nostalgie, au-dessus de tout, comme une couverture en patchwork chaude et trouée.

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Exiguïté

Posté : 6 décembre, 2007 @ 10:25 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Cette histoire se passe dans un T Zéro avec vue sur l’Etoile du Matin. Il ne peut y entrer (avec peine) qu’un seul personnage. C’est pourquoi les éventuels dialogues seront des monologues dédoublés, dans la mesure du possible. On ne voit pas si le personnage est grand ou petit, malade ou bien portant, parce que son corps essaie toutes les positions que les limites lui imposent – la division de l’espace a été faite par un architecte qui a voulu nous convaincre (on peut voir ou deviner la division des autres T) que l’univers est triangulaire dans ses formes basiques. Ainsi les précautions de ce personnage temporaire paraissent excessives, à en juger par l’effort qu’il fait pour s’asseoir, pour adapter son corps et sa fonction ( son âme) à l’angularité – toujours trop étroit ou trop large, préservant sa non-fonctionnalité fondamentale. D’où la nécessité de transférer son âme dans sa tête et de se pelotonner au moins dans les objets imaginaires : d’exister, finalement, de l’intérieur. Son regard dissimule la véritable couleur de ses yeux à travers une mutation de fuite – une fuite de biais – par conséquent, aucun paysage, aucun visage, aucune paroi, ne parviennent à s’installer assez longtemps pour voir ce que l’on dit la vérité, sans entraîner avec lui un peu de la couleur de ses yeux. Parfois, grâce à la vitre de la fenêtre (conçue spécialement pour ne pas être lavée de l’extérieur) ou à sa vue, grandement conditionnée par la première, l’Etoile devient double ou triple ou plus encore et il voit une constellation à laquelle il donne des noms divers, car elle n’est jamais la même. Et c’est là qu’il transporte son habitation parce que c’est plus commode, plus abstrait. Mais cette vérité serait-elle possible ? Car la vérité ne peut se réduire à un fait; pas de vérité sans une limite minimum, et c’est en établissant cette limite minimum que se perdent les vérités de toute dimension, forme et contenu.
Ecoutons sa réflexion :

J’ai commencé à pratiquer le yoga dans la baignoire de mon nouvel appartement de luxe.

 

 

 

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