Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 26 décembre, 2007

Charité

Posté : 26 décembre, 2007 @ 9:10 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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D’un coup d’œil, Marciana jaugea le clochard. Elle pensa que même s’ils le lavaient, même frotté et désinfecté, il ne passerait jamais pour l’un des leurs. Quand ils s’assirent dans la salle de séjour, Pereira au bout du canapé, les poings raides appuyés sur les genoux, Miguel avec ses baskets sur la table basse au plateau en verre, Marciana eut un haut-le-cœur, elle ressentit une onde de panique, et elle ne pensait même pas encore à ce qu’elle allait dire à son mari, à ses frères et à ses belles-sœurs. Elle supputait la meilleure manière de nettoyer la moquette et le temps que mettrait l’odeur de poubelle que dégageait généreusement Pereira à s’évaporer dans l’air. Elle savait qu’ils lui avaient gâché son dîner de Noël et elle n’avait aucune idée de ce qu’elle pouvait faire ensuite.
- Peut-être que monsieur Pereira aimerait prendre un bain, se changer. J’ai un costume de ton père qui devrait lui aller.
Miguel trouva cela bien et l’indigent ne fit pas d’opposition. Au moment où l’homme sortit de la pièce où brûlait la cheminée, Marciana désodorisa l’air et brossa le canapé, à la recherche de la puce occasionnelle, du pou hideux, d’autres insectes sans nom qui s’accrochent à la pauvreté.
C’est que Miguel, élevée dans l’athéisme le plus libertin, traversait à quinze ans une phase de christianisme primitif. Déjà en novembre il avait commencé à attaquer l’hypocrisie de l’esprit de natalité, dénoncé la société de consommation, taxé de cynisme ses parents, ses oncles et tantes, les prêtres, ses professeurs, les personnages publics – jusqu’au Pape ! – et annoncé que les choses allaient se passer autrement ce Noël-ci. Marciana prenait son fils au sérieux, car c’était un garçon dont les convictions étaient fermes, bien que naturellement peu durables, et qui non seulement prenait à la lettre les idées générales, mais les mettait en pratique de façon radicale. Marciana avait craint le pire. Elle avait eu peur qu’il ne vienne pas passer la veillée de Noël en famille. Finalement le pire possédait un superlatif – Miguel était arrivé accompagné d’un inconnu qui puait le vin et la misère et qui avait apprécié, d’un regard excessivement sobre, non seulement la maîtresse de maison, mais aussi l’argenterie et la porcelaine. Marciana avait noté mentalement qu’il lui faudrait réserver un moment de la semaine suivante à faire changer les serrures.

Luísa Costa Gomes, Assis dans le désert, in Antologia do conto português, Dom Quixote, 2002

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