Archive pour janvier, 2008
Danser à Goa
Bailar em Goa
Shiva danse toujours
Sur les sons du cavaquinho
Ou de l’accordéon
Mille flêches d’azur
Empennées de feu
Sont la marque de ses pas
Sur les arpèges de la nuit
Velours qui fait jammer les skeletons
Dans la saveur des merveilles
D’autre temps d’autre monde
La photo est un cadeau de nos amis cyclistes, merci à eux !
caprice de langue
Frivole est la langue
Gorgée de synonymes sympathiques
Dix mille textes pour un son
Cent mille poèmes pour un instant
Du boût de la langue
Frôler un sein de velours
Taquiner une muse charmante
Se laisser caresser les hanches
Tandis qu’un souffle frais
Remonte lentement
Le long d’un pubis offert
Aux vents de la folie douce
embrouillamini
Lorsque nous faisions l’amour (sur le moment, comme vous pouvez le deviner, j’utilisais d’autres mots, moins anodins), Manuela était totalement transfigurée. Quelquefois elle en arrivait à jouir en umbundu, je crois (elle est du Sud), disant des choses que je ne comprenais pas, mais qui me semblaient pleines de passion, une passion à la limite de la violence, tant étaient grands l’ardeur qu’elle mettait dans ces hurlements fantasmagoriques, la véhémence avec laquelle elle m’enlaçait, l’abandon (ou le contrôle le plus parfait et le plus criminel, allez savoir…) avec lequel elle remuait son corps [...]
Pourtant, ce que je trouvais le plus incompréhensible, c’était ce qu’elle me disait (en portugais), dans nos moments les plus délirants, quand les bras et les jambes sont si tendus qu’on a l’impression qu’ils vont se briser en petits morceaux, quand la chambre se met à tourner sans s’arrêter, quand les yeux se ferment et que la bouche s’ouvre infiniment, prenant des formes dantesques. « Mets-la moi ! » criait-elle (jusque là, tout allait bien). « Il me faut une bite angolaise !… » ajoutait-elle (au-delà de la manière crue avec laquelle elle était formulée, cette exigence, en elle-même, me semblait tellement hors de propos, que je mourais de rire, mais seulement intérieurement, bien sûr…).
eau et miel
Água e mel
L’eau et le miel
Comme la poésie d’une fleur de sel
Marées d’ambre et d’ivoire
Qui sucrent les papilles des rivages
Dans un tourbillon de fanfreluches
Evanescentes et volages
L’eau et le miel
Purs sarments d’hirondelles
Rien qui ne soit tout à fait pareil
Quand la plume vole alerte
Dans les cils verts du soleil
En chantant les flots bleus du désert
Je veux vivre
- Ce que je veux, c’est recommencer à vivre. C’est cela mon regret. Ce que je veux, c’est recommencer la vie goutte à goutte, jusque dans les plus petites choses. Je n’ai pas remarqué que je vivais et à présent il est tard. Je me sens grotesque. La recommencer par les soirées étourdissantes du printemps et dans la joie de l’instinct. J’ai trouvé tout à l’heure un arbre vermoulu : on l’avait laissé debout, et une seule branche encore verte s’est répandue en fleurs… Puissé-je recommencer la vie ! – Tais-toi ! Il faudra que je m’avoue à moi-même que je n’ai jamais aimé, que je n’ai jamais été soulevé jusqu’au fond du cœur par le désespoir ni par la passion, et que les mots et les règles m’ont pénétré de telle sorte que j’ai passé ma vie à masquer les mots et les règles ? Il faudra que je m’avoue à moi-même que je vais vers la tombe avec dans ma bouche un goût de vulgarité et de poussière ? Je préfèrerais le goût du fiel – celui de la douleur !… – Mais tu as rêvé, imbécile ! – Je rêve. C’est tout ce qu’il me reste dans mes mains désarmées, mes mains que je regarde avec effroi et terreur, des mains de vieux, sinon grotesque, des haillons de grotesque, des restes de grotesque, avec de l’encre dessus ? … Non. C’est vivre qui est bon, vivre avec l’instinct, avec les voleurs et les animaux, les malfaiteurs et les bêtes sauvages, sans penser, sans rêver, sans paroles ni lois, jusqu’à tomber dans un coin, mort et heureux, le ventre en l’air. Ça oui ! Ça oui !… – Combien de fois en avons-nous parlé ! Combien de discussions inutiles ! Combien de désespoirs de ne pas avoir d’issue, à se taper la tête contre le même mur ! Parfois je le soumets : – Tais-toi ! Tais-toi ! Parfois il parle plus fort et c’est lui qui me domine. Je me moque de toi et je m’impose à toi. Tu es ridicule et il n’y a que toi qui oses : il n’y a que toi qui sois heureux parce que tu oses rêver, être toi-même, dire des inconvenances sans foi ni loi. Il n’y a que toi qui n’aies pas de méthode, qui te fermes à double tour à volonté, libre, heureux et méprisé. Dans le fond, je t’envie.
Raul Brandão, Húmus, première édition 1907