Sintra
Le palais d’été du Roi Dinis est le premier qui apparaît dans la vidéo, celui qui est dans la ville. L’autre (Pena) n’a été construit que beaucoup plus tard (en 1839).
Sintra n’est pas une grande ville, et elle abrite peu de monde. Les juges disent qu’elle ne dépasse pas deux cents habitations, si l’on ne tient pas compte des nombreuses autres, éparpillées dans la campagne. Peu de chose, certes, comparé à Lisbonne, qui en est proche, ou à Santarém, ou Evora, ou Braga, ou une autre grande cité du royaume. Malgré tout, et parce que c’est la coutume que les gens de la Cour et d’autres gens de Lisbonne viennent jusqu’à Sintra traiter des affaires ou se reposer, le mouvement est important. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut comprendre que, dans une ville comme celle-ci, dont la dimension équivaut à deux ou trois quartiers de Lisbonne, il y ait autant de tabellions.
Et de cette Cour, le Palais de la Ville, le Palais des rois, est le symbole, et des ces rois il est le lieu de repos. Lorsqu’à la fin d’une après-midi ensoleillée on entendait le bruit des pas et des mules, et dans les rues le roulement des roues de carrosses ; lorsque la rumeur des voix augmentaient et que les gamins couraient au Champ de L’Olive pour voir le cortège passer sur la place et entrer au Palais Royal ; lorsque les juges se grattaient la barbe en imaginant comment ils pourraient payer à Monseigneur le Roi l’impôt sur les récoltes qui lui est dû quand il se séjourne dans la ville ; alors c’est le signe évident que, pendant quelques jours (ou quelques semaines, si c’était l’été), Sintra se transformait, et les habitants, les colporteurs, les paysans, les artisans, les juifs et les maures affranchis, s’ils arrivaient de l’extérieur, pouvaient penser qu’ils étaient dans une autre ville, devenue paradis terrestre des seigneurs, de leurs favoris et de leurs domestiques.
Lorsque, à la fin de cette après-midi ensoleillée, tous ces signes se conjuguaient et indiquaient clairement l’arrivée de la Cour, moi aussi, comme les enfants, (et j’avais fait la même chose à leur âge), et avec de nombreux autres habitants de la ville, je courais voir passer le cortège, posté à la sortie de la rue de la Boucherie. Et même si de pareils cortèges arrivaient souvent en ville – et Dieu sait qu’il en venait et qu’il en vient encore souvent -, même si nous assistions souvent à ce spectacle, c’était toujours une source d’étonnement que de voir tant de couleurs, de montures, de cavaliers, et l’attelage ou l’animal sur lequel arrivait Monseigneur le Roi, ainsi qu’une telle profusion de vêtements et de harnachements. Les juges, en voyant cela, et avec eux de nombreux autres, s’étonnaient d’un tel luxe et d’une telle richesse, alors que les coffres de la commune, surtout à la fin des mandats, avaient à peine assez d’argent pour faire plumer une poule. Lorsque, peu après l’incendie du palais des tabellions, la Cour est venue passer quelques jours à Sintra pour une chasse à courre, Gaspard Eanes, posant une main sur mon épaule, m’a dit :
« Ecoutez, tabellion. Donnez-moi deux de ces chevaux tout harnachés, ou même sans rien, je ne suis pas exigeant ; ou à la place, donnez-moi les vêtements de quatre ou cinq courtisans ; ou même l’argent que ces messieurs dépensent pour manger en deux jours, et vous verriez si les tabellions de Sintra n’auraient pas de palais. »
Sérgio Luís de Carvalho, Le Bestiaire inachevé (Anno Domini 1348), Phébus, 2003
2 commentaires »
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Merci Lusina … je cours demain l’acheter …
Je pense que vous ne le regretterez pas, surtout si vous connaissez bien la ville.