embrouillamini
Lorsque nous faisions l’amour (sur le moment, comme vous pouvez le deviner, j’utilisais d’autres mots, moins anodins), Manuela était totalement transfigurée. Quelquefois elle en arrivait à jouir en umbundu, je crois (elle est du Sud), disant des choses que je ne comprenais pas, mais qui me semblaient pleines de passion, une passion à la limite de la violence, tant étaient grands l’ardeur qu’elle mettait dans ces hurlements fantasmagoriques, la véhémence avec laquelle elle m’enlaçait, l’abandon (ou le contrôle le plus parfait et le plus criminel, allez savoir…) avec lequel elle remuait son corps [...]
Pourtant, ce que je trouvais le plus incompréhensible, c’était ce qu’elle me disait (en portugais), dans nos moments les plus délirants, quand les bras et les jambes sont si tendus qu’on a l’impression qu’ils vont se briser en petits morceaux, quand la chambre se met à tourner sans s’arrêter, quand les yeux se ferment et que la bouche s’ouvre infiniment, prenant des formes dantesques. « Mets-la moi ! » criait-elle (jusque là, tout allait bien). « Il me faut une bite angolaise !… » ajoutait-elle (au-delà de la manière crue avec laquelle elle était formulée, cette exigence, en elle-même, me semblait tellement hors de propos, que je mourais de rire, mais seulement intérieurement, bien sûr…).
Nous étions tous angolais : moi, elle et son mari (il s’agit, par conséquent, d’un triangle amoureux, mais cela aussi c’est assez commun), ce qui faisait que, à ce qui me semblait, et tout au moins en matière de nationalisme, elle était raisonnablement pourvue. Pourquoi, alors, cette manifestation de patriotisme exacerbé, alors que nous nous livrions à un acte qui, en théorie, ne connaît aucune limite de couleur, de frontières, de religion ni de classe (bien que, pour quelques têtes dures, cela puisse être gênant…) ? Ma naïveté ne me permettait pas de penser que le triangle pût avoir un côté supplémentaire, ce qui m’amenait à conclure, pour ma propre tranquillité, qu’il ne s’agissait que d’une question d’emphase.
Le faux mystère se révéla, un jour, lorsque Manuela m’avoua que, en plus de sa liaison avec moi, elle en avait aussi une avec un cubain.
Au début, je voulus rire, mais je crois que je ne réussis qu’une grimace un peu sérieuse, parce qu’elle me jeta un regard qui exprimait clairement la crainte d’un geste subit et violent de ma part. Mais je ne suis pas machiste et, de plus, j’ai mes convictions politiques. Je la rassurai donc : « Ah oui, internationalisme oblige… » (Lorsqu’elle voulait dévoiler son âme la plus profonde, son être véritable, ce qu’elle était réellement, au-delà de toutes les vicissitudes historiques qui l’avaient façonnée, elle s’exprimait en umbundu ; moi, au contraire, j’avais recours à des formules étrangères chaque fois que j’étais embarrassé…) Malgré mon attitude conciliatrice, Manuela pensa bien faire en me donnant des explications un peu plus prosaïques : « Que veux-tu ? », demanda-t-elle, dans la nette intention de me préparer aux pesantes vérités qui allaient suivre. « Tu n’as jamais de temps à me consacrer ! Tu as toujours peur de ta femme, tu es toujours pressé… Pratiquement nous ne nous voyons qu’une fois par mois ! Je ne vois pas la différence entre nos rencontres et les séjours de mon mari à Luanda… », poursuivit-elle. Voilà pourquoi (vous avez deviné) : « Quand Fernando a voulu coucher avec moi, j’ai accepté ! Et je ne te dois rien ! » Son air de défi, curieusement, excitait mon agressivité réprimée. Mais je me retins. Ce jour-là, il y eut une tragédie : Manuela ne jouit pas en umbundu. Je ne sais si ce fut à cause de ça ou, surtout, de l’aveu provocateur qu’elle venait de me faire, mais le fait est que, à partir de là, ma tête fut en proie à des sentiments de plus en plus confus et contradictoires à propos de ce carré amoureux (ou de ce pentagone, si nous comptons aussi ma femme, mais elle n’a jamais rien su…) dans lequel j’étais engagé.
João Melo, (Angola) Imitação de Sartre e Simone de Beauvoir, Caminho, 1989
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