la pêche au lecteur
Le lecteur est un poisson au milieu d’un banc. On ne vise jamais le banc entier, seulement un poisson. N’importe quel Indien pourrait en parler. N’importe lequel, si les Indiens parlaient des choses évidentes. Mais un Indien parle peu. Il écoute, il évalue, et plante sa lance dans le corps argenté. Le piranha frémit, ses ouies s’ouvrent et ses yeux contemplent le ciel pour la dernière fois. Et il ne s’échappe plus. Une flèche, un poisson. Jamais tous en même temps. Vera savait ça. Même si elle n’avait encore jamais vu un iguarapé, ce lac né parmi les arbres, ou bien à peine un cours d’eau qui coule, limpide, entre les étroites parois d’un ravin dans la montagne. Elle croyait que sa survie dépendrait du fait de garder son attention constante, les yeux sur sa proie. Elle corrigea page par page. Simplifia les phrases jusqu’à ce que la plus simple des hôtesses de l’air puisse les comprendre. Elle coupa les périodes trop longues ou plus élaborées, tout en retenant la mèche blonde qui s’obstinait à lui troubler la vue.
- Mon livre parle de sentiments. D’histoires d’amour banales. On n’a pas besoin que ce soit trop compliqué… Pourquoi tout gâcher avec des prétentions intellectuelles ? Et, pendant qu’elle raturait les pages, elle s’ôtait de l’esprit le plaisir que Hesse lui avait donné. [...] Pourquoi compliquer ce qui devrait rester simple ? Elle visualisa son petit poisson-femelle : seule, muette, assise sur le canapé, sans personne à appeler. La télé allumée. Encadrée dans sa tête, la photo de l’homme qui n’avait pas voulu d’elle. Oh, non. Il ne manquerait pas de poissons dans cet iguarapé.
Possidónio Cachapa, Rio da Glória, Oficina do livro, 2006
2 commentaires »
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Et oui c’est la tendance, tirer vers le bas pour éviter au lecteur le moindre effort intellectuel, et finir par le capturer dans les filets
N’est-ce pas, Fati ? Tu dois en savoir quelque chose !;)
Hélas, oui, c’est la tendance, très bien analysée par Possidonio Cachapa.