Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour mars, 2008

Indécision

Posté : 31 mars, 2008 @ 8:20 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Il soufflait un vent de fin d’après-midi, plein de poussière et de feuilles sèches. Le Vieux s’était tu et regardait devant lui. Depuis le passage de Chagas Valadão, il était devenu plus calme, comme si une vague avait charrié vers lui les décombres d’un temps effacé de sa mémoire. De lourds coffres s’ouvraient sur des possessions oubliées. C’était un instant perdu que Chagas avait apporté, avec l’histoire de son crime, sa supplique d’absolution. Et le Vieux lui avait ouvert toutes les portes et l’avait traité avec compassion.
- Il a commis un vilain meurtre, aidé par deux autres. Ils ont demandé le gîte dans une ferme et, dans le silence de la nuit, ils ont assassiné les propriétaires et un petit garçon. Ils avaient l’intention de voler, mais ils n’ont rien trouvé. Ils ont versé le sang en vain, dit Irinéia, en remuant dans son coin.
- Je n’ai pas vu ça dans ses yeux. J’ai vu l’envie de s’en tirer, de soigner ses blessures et de calmer sa faim et sa soif. Ce n’est qu’après qu’il m’a tout raconté, et que j’ai eu connaissance du crime.
La lune était décroissante. Irinéia pouvait reposer son corps des épines des maquis, relever la tête dans la direction de la pensée logique. Elle avait parcouru tant de routes, les asiles comme celui du Vieux étaient rares. Ici, tout le monde s’arrêtait. La réputation de la maison allait loin, et c’est ça, peut-être, qui avait attiré Chagas Valadão dans sa fuite. Qui irait donner asile à un assassin qui avait la police volante aux trousses ? Il n’y avait que le Vieux, ou un autre qui serait intéressé par de l’argent. Le crime de Chagas avait brisé le cœur hospitalier des sertanejos. Et il était encore plus criminel parce qu’il était fils du pays et s’était servi de sa connaissance des gens pour atteindre son but.

Ronaldo Correia de Brito (Brésil), « En attendant la Volante », in Faca, Cosac & Naify, 2003

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Portrait

Posté : 29 mars, 2008 @ 7:18 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Elle a servi avec une jupe râpée, les mains sales de faire la vaisselle, une chemise, les usages et six mille réaux de salaire. Elle a lavé, frotté, elle sent mauvais. Elle a servi le désordre, la misère, le rire, qui chemine vers la mort en costume d’apparat et chapeau à plumes sur la tête. Pour conter son histoire d’un bout à l’autre il suffit de dire comment ses mains se sont déformées et couvertes de rainures, de nodosités, de croûtes, comment ses mains se sont mises à ressembler à une écorce d’arbre. Le froid les a gercées, l’humidité y a pénétré, le bois qu’elle a refendu les a durcies. Je l’ai toujours comparée au pommier du verger : il est innocent et utile, ne prend pas de place, et il n’est pas de printemps où il ne donne de la tendresse, pas d’hiver où il ne donne des pommes. La vie l’use, les larmes la corrodent, et elle est là, exactement la même que lorsqu’elle est entrée chez Dona Hermengarda. Elle fait rire et elle fait pleurer. Les enfants l’ont salie – elle a adoré les enfants. Les malades que personne ne veut supporter, Joana les supporte. Personne ne s’étonne – même pas elle – que Joana tienne le coup, et que le matin la trouve debout, à fendre le bois, à allumer le feu, à faire chauffer l’eau. Il y a des être qui ont été crées exprès pour les tâches grossières. A l’intérieur, Joana n’est que tendresse, à l’extérieur Joana est noircie. La même laideur recouvre les pierres. Recouvre aussi les arbres.

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hypermarché

Posté : 25 mars, 2008 @ 8:06 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

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ma Dora qui a taillé les rosiers et rabattu la rangée de chrysanthèmes dans le jardin, ma Dora assise à la caisse 29 de l’hypermarché, elle change de caisse tous les jours, elle appelle la chef au téléphone pour résoudre le problème de la boite de saucisses douze unités viande de porc fabriquée selon la méthode allemande, qui passe avec un prix dont la cliente, la bouche tordue, affirme qu’il est autre, c’est toujours la même chose, ils baissent le prix sur les affiches au cas où il y en aurait quelques-uns qui se fassent avoir, Dora regarde l’ours en peluche que l’artiste lui a offert et qui est accroché au tiroir des chèques, la seule chose qui soit à elle aux caisses où elle passe, Dora sourit à la cliente pour obéir aux instructions du gestionnaire des ressources humaines, tant qu’elle ne sait pas si le client a raison ou pas elle sourit, Dora, un uniforme mal coupé, respectant l’obligation de sourire, la chef ouvre la caisse avec une des clefs qu’elle a à son trousseau et la boite de saucisse passe sur le tapis, Dora annonce le montant que la cliente doit payer, la cliente tend sa carte de crédit et Dora, vert, code, vert, ça ne devrait rien signifier du tout mais la cliente comprend ce que Dora lui demande et une autre machine se met à faire un drôle de bruit, presque de satisfaction, je me demande comment mon enfant supporte ces bruits pendant tant d’heures, Dora souhaite une bonne journée à la boite de saucisses, je veux dire à la cliente, et elle dit bonjour au client suivant, le gestionnaire des ressources humaines lui a expliqué qu’elle doit être toujours de bonne humeur, présenter bien, puisque c’est l’image de l’hypermarché, la dernière chose que le client voit, Dora sait que la plupart des clients ne la regardent même pas mais elle s’en fiche, bonsoir, vous avez la carte famille et bien-être, le client dit que non et Dora commence à passer les codes-barres des produits, à découvrir des secrets du client, repas individuels cuisinés maison à votre portée en deux minutes une fois décongelé ne pas recongeler, il vit seul, il a des problèmes d’insomnie, infusion de tilleul 10 sachets nuits calmes sans médicaments, des serviettes hygiéniques maxi confort anatomiques capacité d’absorption testée en laboratoire autrichien pattes latérales autocollantes système d’absorption maxi efficacité, elle s’est trompée, l’homme fait aussi les courses pour quelqu’un d’autre, maintenant Dora ne sait plus si c’est le client ou l’autre qui a des insomnies, elle essaie de voir si le client a des cernes, s’il prend ses repas tout seul, si l’homme demande des notes séparées, ou si à la fin il fait des nœuds à certains sacs pour les repérer, Dora s’en désintéresse, dans un petit moment elle va demander à la chef la permission de se reposer cinq minutes, encore un client et elle peut s’arrêter cinq minutes, pendant la pause elle fait toujours la même chose et dans le même ordre, elle allume son portable et elle va jusqu’aux toilettes avec une voix sirupeuse qui lui colle à l’oreille,

composez votre code secret suivi d’une astérisque, vous avez un nouveau message, pour l’écouter faites le 1

Dulce Maria Cardoso, Les anges, Violeta, Esprit des Péninsules 2006

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Souvenirs

Posté : 24 mars, 2008 @ 7:20 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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La poésie est dans la rue

Un qui n’avait rien à confesser, c’était mon arrière-grand-oncle, d’abord parce qu’il ne voyait rien dont il ait à se repentir, son critère de bonté étant fondé sur d’éventuelles actions dont il aurait pu se sentir coupable ; ensuite parce que moi-même, qui ne sais rien de lui à part le jour et les circonstances de sa mort, je n’ai aucun souvenir susceptible de m’aider à dire s’il était bon ou méchant, même si je peux affirmer que son attitude vis à vis de ses fermiers était mauvaise, puisqu’il leur extorquait tout ce qu’il pouvait et les traitait avec tout le mépris du propriétaire qui n’accepte pas que l’on vienne lui apporter une charrette de caroubes alors qu’on aurait dû lui en apporter deux ; c’était forcément de la faute de celui qui les avait ramassées, soit qu’il n’ait pas fait le travail comme il fallait, soit qu’il lui ait volé la moitié de la récolte ; et les accusations pleuvaient sur l’employé incapable de se défendre, en accord avec une règle que j’ai trouvée dans le livre de Politzer, en termes théoriques, et que j’ai ensuite cherché à appliquer à la réalité portugaise, lorsque j’écrivais des notes éparses sur des cahiers achetés à Paris chez Gibert Joseph, 27 boulevard Saint-Michel, dont le papier ligné français m’aidait à discipliner ma pensée en une écriture aux lettres minuscules, quasi hiéroglyphique, ce qui avait aussi pour but de n’être pas lu par le type assis à côté de moi, au café, qui aurait bien pu être de la police politique et surveiller qu’il ne se passait rien d’anormal autour de lui, comme par ailleurs rien ne pouvait se passer d’anormal dans tout le Portugal.

Je me demande toujours s’il se passe encore quelque chose dans ce pays, bien que nous ayons fait une révolution, une contre-révolution, et que des marées venant de droite et de gauche continuent à maintenir l’illusion d’un cycle lunaire, tantôt avec une idéologie plus haute, et tantôt, comme c’est en ce moment le cas, avec une idéologie plus basse, laissant voir sur le sable de la politique tous les déchets que les pétroliers évacuent de leurs soutes, le long de notre mémoire de ce que fut la révolution, qui a eu lieu, Dieu l’ait en sa sainte garde, ainsi que les livres subversifs, car ils ne valent plus rien, même chez les bouquinistes.

Nuno Júdice, L’ange de la tempête (O anjo da tempestade), La Différence, 2OO6

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manque d’imagination

Posté : 21 mars, 2008 @ 6:05 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 1 commentaire »

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Lorsqu’elle sortit du bar pour se rendre sur le plateau elle se sentit un peu embarrassée avec son sac à main et une serviette dans laquelle elle transportait le scénario du film et d’autres paperasses, dans ces cas-là il lui venait à l’esprit qu’un troisième bras lui serait bien utile, peut-être que les enfants à l’avenir naîtrons avec trois bras, qui sait, pour pouvoir porter sans effort tout le bazar avec lequel il faut parfois se trimballer.

L’ambiance du studio lui causait toujours une impression bizarre, une excitation secrète, cette odeur irrésistible de matériaux technologiques, et même la couleur fugace du décor, on aurait dit le noir et blanc d’une photographie violente mais peu lumineuse, fluide, révélatrice d’un paysage irréel où croissaient et fleurissaient des machineries diffuses… à mesure qu’elle avançait elle sentait sur sa peau, comme une caresse de feu, l’aura de la vie occulte qui irradiait des projecteurs, des grues, des métaux, des structures, des rampes d’éclairage, des rails, des trépieds, tout cela lui faisait penser à des totems d’une magie puissante, elle avait des visions d’un rituel énigmatique toujours nouveau et plein de surprises, un peu effrayant, enfin, pas beaucoup, juste un peu, il n’y avait pas moyen de s’habituer même si ce décor lui était familier depuis si longtemps – si longtemps ? qui pourrait le dire, le temps passe tellement vite, quel manque d’imagination, pensa-t-elle, c’est ce que tout le monde passe sa vie à dire : le temps s’enfuit, on dirait que c’était hier, hier j’étais petite-fille demain je serai grand-mère, l’âge ne pardonne pas…

António Macedo, As furtivas pegadas da serpente, Caminho, 2004

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Tout ce que je te donne

Posté : 20 mars, 2008 @ 7:17 dans musique et chansons, Poesie | 7 commentaires »

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Pedro Abrunhosa (et son public), Tudo o que eu te dou

Je ne sais ce que je peux être de plus
un jour roi, l’autre un ventre vide
parfois fort, un courage de lion
parfois faible, c’est ainsi qu’est le coeur
je ne sais ce que je peux te donner de plus
un jour des bijoux, l’autre le clair de lune
des cris de douleur, des cris de plaisir
car un homme pleure aussi
quand c’est le moment de le faire

Il y a eu tant de nuits sans dormir
tant de chambre d’hôtel, aimer et partir
des promesses perdues, écrites en l’air
et maintenant je sais…

Que tout ce que je te donne
tu me le donnes à moi
tout ce que j’ai rêvé
tu seras comme ça
tout ce que je te donne
tu me le donnes à moi
et tout ce que je te donne

Assise sur le sofa, tu embrasses ma peau brune
tu me fais ces trucs que tu a appris au cinéma
je t’en demande encore, je me sens voyager
arrête, recommence, fais-moi croire
« Non », dis tu, et ton regard a menti
enlacés sur le sol dans l’étreinte qu’on a vue
c’est l’aube, ou c’est une hallucination
des étoiles de mille couleurs
hum, cette odeur apporte tant de nostalgie
tue-moi d’amour, ou donne-moi la liberté
laisse-moi voler, chanter et m’endormir

Que tout ce que je te donne
tu me le donnes à moi
tout ce que j’ai rêvé
tu seras comme ça
tout ce que je te donne
tu me le donnes à moi
et tout ce que je te donne

(A noter qu’en portugais, la dernière phrase est « tudo o que eu te dou », prononcé « do », qui correspond à la note « do » finale du piano qui l’accompagne.)

Pour écouter *Tudo o que eu te dou* en entier et *Socorro*, cliquez sur la colonne de droite aux endroits où le nom du chanteur apparaît… voir aussi

Pedro Abrunhosa est né à Porto en 1960. Après avoir obtenu un diplôme de musique, il étudie le jazz à Madrid. En 1985 et 86, il participe à des rencontres internationales de jazz.

 

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Pour Timor

Posté : 17 mars, 2008 @ 9:57 dans - époque contemporaine, littérature et culture, musique et chansons | 4 commentaires »

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Groupe Trovante, « Timor »

Lavam-se os olhos nega-se o beijo
do labirinto escolhe-se o mar
no cais deserto fica o desejo
da terra quente por conquistar

Nobre soldado que vens senhor
por sobre as asas do teu dragão
beijas os corpos no chão queimado
nunca serás o nosso perdão

Ai Timor
calam-se as vozes
dos teus avós
Ai Timor
se outros calam
cantemos nós

Salgas de ventres que não tiveste
ceifando os filhos que não são teus
nobre soldado nunca sonhaste
ver uma espada na mão de Deus

Da cruz se faz uma lança em chamas
que sangra o céu no sol do meio dia
do meio dos corpos a mesma lama
leito final onde o amor nascia

Ai Timor
calam-se as vozes
dos teus avós
Ai Timor
se outros calam
cantemos nós

De la croix on fait un lance-flamme
Qui saigne le ciel au soleil de midi
Du milieu des corps dans la boue
Dernier lit où l’amour naissait

Ai Timor
Les voix se taisent
de tes ancêtres
Ai Timor
Si d’autres se taisent,
Nous nous chantons.

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la vieille garde

Posté : 13 mars, 2008 @ 7:10 dans musique et chansons | 5 commentaires »

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Velha Guarda da Portela

 

L’école de samba Portela a vu le jour en 1935, et c’est de cette époque de pionniers que datent les succès de ces musiciens, qui viennent d’enregistrer un CD, ‘Tudo azul »

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