Un rayon de soleil
La vérité, cependant, oblige à dire que cet homme, au milieu de sa vie, avait regardé une femme, ou plus exactement une parente, qui avait éveillé en lui, pour la première fois, un désir dépassant le vice animal de satisfaire la simple nécessité d’une nuit. C’était une adolescente de quinze ans, mais ceci n’avait pas d’importance en ce temps où les fiançailles se faisaient par l’intermédiaire de la famille, sans que l’on s’occupât de la préparation ou de l’expérience de la jeune fille qui, parmi six ou sept frères et sœurs, n’était qu’un poids dont la famille voulait se débarrasser, par n’importe quel moyen, et encore mieux si c’était en la cédant à ce vieux (pour les canons de l’époque) disponible et riche. Ce qui l’avait fait la regarder était son décolleté, tellement inattendu dans une famille de la campagne, d’où surgissaient les formes de ses seins qui lui ouvraient l’appétit, et un visage qui souriait, même quand elle était sérieuse, comme si ses yeux savaient déjà capter toute l’allégresse du monde en un temps aussi austère et fermé que cette triste moitié de siècle.
Il est bien possible qu’en descendant de la montagne, il ait apporté sur la mule le coffre de la dot qu’il devrait remettre à la famille, et que ç’ait été cela, finalement, la proie convoitée du vol et de l’assassinat du vieux fiancé. Ce serait ce coup de feu dans le dos qui l’aurait empêché de se défendre, et s’il avait pu le faire il est certain que l’opération aurait échoué, avec des conséquences néfastes pour le criminel – je suppose qu’il n’y en avait eu qu’un, car si ce n’avait pas été le cas l’attaque aurait eu lieu de face, ce qui ne laissait à mon aïeul aucune chance de se défendre. Le coup de feu avait pu ne pas être fatal ; et la fin serait survenue sur le corps à terre, où la vie luttait encore, au moyen de coups de bâton qui, en pareil cas, faisaient office de coups de grâce, accompagnés de cris par lesquels le mourant suppliait qu’on le laissât vivre ; à moins que, chez cet homme habitué à la solitude, seuls les gémissements provoqués par la douleur eussent été audibles, les autres étant retenus par l’orgueil et l’indifférence que la mort lui inspirait, bien qu’il sût qu’au-delà de la vie, c’était le néant pur et simple qui l’attendait ; car sa foi religieuse s’était évanouie pendant les années de la guerre civile, et avait été remplacée par une haine du clergé qui, en majorité, avait adopté la position opposée à sa croyance libérale.
Nuno Júdice, L’ange de la tempête (O anjo da tempestade) , La Différence, 2006
2 commentaires »
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Terribele ce texte … le pêché de la chair et son imédiate expiation !
En quelque sorte, mais toutes les hypothèses sont analysées. Même le « meutre » de départ est contesté. Et aussi la rencontre avec la jeune fille.
C’est un bon roman sur la création de personnages et l’imaginaire. Pour un poète, c’est la moindre des choses…
On peut lire ça :
http://www.liberation.fr/culture/livre/205789.FR.php