Une collection originale
Joseph Walser était devant sa collection. Il se sentit réconforté : tout était à sa place. D’innombrables pièces métalliques étaient rangées en bon ordre sur plus de cinquante étagères. Et sur chacune, à la base, était collée une étiquette, avec un numéro d’identification. Sur la table, juste devant la porte de la chambre, était posé un cahier à couverture noire, et à côté une règle graduée gris métallisé.
Walser avait débuté sa collection huit ans auparavant. Il ramassait toutes les pièces métalliques qu’il trouvait, mais il fallait qu’elles aient deux particularités : il fallait que ce soit des pièces uniques, non composées ; détachées, donc, d’une autre partie, et il fallait que toutes leurs dimensions – longueur, hauteur et épaisseur – n’excèdent pas dix centimètres.
La vue de sa collection parfaitement organisée le rassura d’une étrange manière, puisqu’il ne s’était passé qu’un jour depuis son accident. Il sourit : de sa main gauche il sentit dans sa poche la pièce métallique qu’il avait rapportée de l’hôpital. C’était le tour arrondi d’une roue de brancard. Il s’était détaché, était tombé sur le sol. Walser l’avait ramassé.
Au cours des ans il avait développé une capacité de perception peu ordinaire en ce qui concernait n’importe quelle pièce métallique qui pourrait venir augmenter sa collection. Son regard sur la réalité et les événements s’était graduellement transformé en un double regard : il voyait les événements se faire et se défaire, quelquefois même il y participait, – ce qui constituait son expérience de la vie – mais derrière ce regard qui cherchait à détecter les meilleures circonstances de survie, Walser avait un regard numéro 2, ou une seconde direction du même qui, au lieu de se fixer sur les hommes et leurs relations, ou sur les choses qui pourraient interférer dans ces relations, il se fixait sur la recherche de petits objets métalliques.
Il avait parfaitement conscience que sa collection était non seulement inutile, mais absurde. Il n’en parlait jamais. Même à la maison il était seul à posséder la clé du bureau où il rangeait ses « trouvailles ». Il était évident que sa femme, Margha, avait déjà vu certaines de ces pièces, mais il lui était interdit d’entrer dans le bureau et Joseph ne lui en avait jamais parlé. Tout ce qu’il en disait, c’était des mots simples, presque abstraits : « ma collection ».
Gonçalo M. Tavares, A máquina de Joseph Walser, Caminho, 2004
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