Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 24 mars, 2008

Souvenirs

Posté : 24 mars, 2008 @ 7:20 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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La poésie est dans la rue

Un qui n’avait rien à confesser, c’était mon arrière-grand-oncle, d’abord parce qu’il ne voyait rien dont il ait à se repentir, son critère de bonté étant fondé sur d’éventuelles actions dont il aurait pu se sentir coupable ; ensuite parce que moi-même, qui ne sais rien de lui à part le jour et les circonstances de sa mort, je n’ai aucun souvenir susceptible de m’aider à dire s’il était bon ou méchant, même si je peux affirmer que son attitude vis à vis de ses fermiers était mauvaise, puisqu’il leur extorquait tout ce qu’il pouvait et les traitait avec tout le mépris du propriétaire qui n’accepte pas que l’on vienne lui apporter une charrette de caroubes alors qu’on aurait dû lui en apporter deux ; c’était forcément de la faute de celui qui les avait ramassées, soit qu’il n’ait pas fait le travail comme il fallait, soit qu’il lui ait volé la moitié de la récolte ; et les accusations pleuvaient sur l’employé incapable de se défendre, en accord avec une règle que j’ai trouvée dans le livre de Politzer, en termes théoriques, et que j’ai ensuite cherché à appliquer à la réalité portugaise, lorsque j’écrivais des notes éparses sur des cahiers achetés à Paris chez Gibert Joseph, 27 boulevard Saint-Michel, dont le papier ligné français m’aidait à discipliner ma pensée en une écriture aux lettres minuscules, quasi hiéroglyphique, ce qui avait aussi pour but de n’être pas lu par le type assis à côté de moi, au café, qui aurait bien pu être de la police politique et surveiller qu’il ne se passait rien d’anormal autour de lui, comme par ailleurs rien ne pouvait se passer d’anormal dans tout le Portugal.

Je me demande toujours s’il se passe encore quelque chose dans ce pays, bien que nous ayons fait une révolution, une contre-révolution, et que des marées venant de droite et de gauche continuent à maintenir l’illusion d’un cycle lunaire, tantôt avec une idéologie plus haute, et tantôt, comme c’est en ce moment le cas, avec une idéologie plus basse, laissant voir sur le sable de la politique tous les déchets que les pétroliers évacuent de leurs soutes, le long de notre mémoire de ce que fut la révolution, qui a eu lieu, Dieu l’ait en sa sainte garde, ainsi que les livres subversifs, car ils ne valent plus rien, même chez les bouquinistes.

Nuno Júdice, L’ange de la tempête (O anjo da tempestade), La Différence, 2OO6

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