Pré-géographie

Le drapeau d’un pays est un hélicoptère : il faut de l’essence pour maintenir le drapeau en l’air ; le drapeau n’est pas en tissu mais en métal : il claque moins au vent, face à la nature.
Nous avançons sur la géographie, nous en sommes encore au lieu d’avant la géographie, à la pré-géographie. Après l’Histoire il n’y a pas de géographie. Le pays est inachevé comme une sculpture : voyez la géographie d’un pays : il lui manque du terrain, à cette sculpture inachevée : elle envahit le pays voisin pour achever sa sculpture. Un guerrier-sculpteur.
Le massacre vu d’en haut : une sculpture. Tous les restes de corps peuvent être le début d’autres matières.
Il arracha avec force du sol un chien. Ce n’était pas un petit arbre, c’était un chien.

Les animaux ne résistent pas comme le règne botanique, ni comme un chapeau. Le chapeau s’envole avec le vent, le chien non, l’arbre jamais. Mais parfois arrive une perturbation moyenne et la nature montre l’un de ses luxes : la méchanceté. Le chapeau s’envole, les chiens, et même les arbres.
[…]
Le matin les tanks paraissent des objets particuliers, de grandes choses faites pour l’hygiène des rues. Ils nettoient les places, ils nettoient les ordures des places. Ils nettoient le langage des places et des cafés, car lorsque les tanks passent les hommes parlent bas, tu as remarqué ? C’est Johana qui le dit à Klaus.
Tu n’as jamais vu un tank fonctionner. Ce pays est encore parfait, cette rue est encore parfaite : aucune bombe n’a explosé près de toi.
C’est bon d’avoir les ennemis tout près comme ça, qui passent avec leurs tanks dans nos rues : nous sommes sûrs de ne pas être bombardés.
Les tanks passent dans les rues. Les rues portent les noms de nos héros. Les tanks ne connaissent pas la langue : ils ne savent pas dire le nom. Ils buttent sur la prononciation, ils n’arrivent pas à accentuer les syllabes. Et les tanks n’ont pas le temps d’apprendre les langues.

Gonçalo M. Tavares, Um Homem : Klaus Klump, Livros pretos, Caminho, 2003

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