Voix d’au-delà
Il zigzaguait entre deux voitures mal garées comme s’il ne parvenait pas à sortir de là et il parlait à son téléphone portable avec des gestes de désespoir. Puis il le jeta à terre.
- Plus de batterie ? demandai-je en signe de solidarité.
- Non.
- La communication a été coupée ?
- Elle s’est arrêtée en enfer.
- Et maintenant ?
- Maintenant je n’arrive plus à en sortir.
- Décrochez.
- Peux pas, continua-t-il dans son style bref, et il se mit à piétiner le portable avec une rage inusitée quand il s’agit de maltraiter des objets inanimés.
- Ecoutez, piétiner un objet comme ça, sans pitié, c’est un péché.
Il s’arrêta un instant et dit :
- De toute façon, je ne m’en sortirai pas.
- Calmez-vous, vous avez encore une longue route jusqu’à l’enfer.
A peine s’était-il adossé à l’une des voitures que son portable sonna. Par ses gestes, par ses hochements de tête, je pense avoir reconstitué fidèlement la conversation suivante :
- John, il faut que tu traverses ce désert tout seul, et le mieux possible, si tu veux survivre. Mais n’en cherche pas les raisons. Ne dis pas « Cela en vaut-il la peine ? ». Parce que ce ne sera plus toi qui parles. Je ne peux plus t’aider.
- Mais je ne m’appelle pas John. Et je ne vois aucun désert.
- C’est cela même. Ce désert se ressent. S’il était visible, tu verrais aussi celui qui te parle.
- Je ne comprends rien aux mystères.
- C’est cela même. C’est parce que tu ne comprends rien aux mystères que tu dois traverser ce désert.
Un bref intervalle suivit.
- C’est une vallée de chiffres – on entendait toujours la voix, maintenant lointaine. – Ne cherche pas à les interpréter. Ce sont des chiffres inutilisés.
Il regarda longuement dans différentes directions, puis il retira avec précaution les touches des chiffres du portable, le mit dans sa poche, et, d’un air décidé, poursuivit son chemin.
Dimíter Ánguelov, Partida incessante, Nova Ática , 2001
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