Lavage de cerveau
La première fois que l’infirmière a daigné perdre du temps avec moi pour une conversation plus importante que les instructions monosyllabiques qui régissent mon quotidien d’incarcéré, ç’a été lorsque, ayant lu attentivement le texte qui précède [...] elle m’a fait savoir, péremptoirement, que si j’avais l’intention d’écrire un nouveau roman d’amour il valait mieux que je m’ôte ça de l’idée. Il suffisait de doubler la dose de liqueur verte et je verrais que pas une unique scène d’amour ne fleurirait à la pointe sensuelle de mon stylo Futura fina. En augmentant la dose de liqueur rose d’autant que la verte, je n’alignerais aucun syntagme sur la feuille A4 parce que elle-ci ferait dévier ma vocation vers d’autres appétits. Seule la liqueur de la nuit, la jaune, qui avait la propriété d’apaiser les excès des autres, viendrait à mon secours – mais alors elle me trouverait déjà en conflit ouvert avec l’envie de dormir, qui provenait justement de l’ingestion de cette dernière – essayant de rétablir les désobéissances de la journée. Donc, si je persistais à écrire, je devrais éviter une écriture à contenu, me consacrer peut-être, pour me divertir, à la réalisation de poèmes légers, de quatrains, pourquoi pas, ou à l’écriture automatique des surréalistes, privée de liens, ou à celle, iconique, de l’avant-garde des années soixante, qui semait des symboles américains – des bombes, à proprement parler – sur la carte du Vietnam, ou à des notes de reportages, ou au récit de souvenir d’événements récents… Jamais, au grand jamais, un roman d’amour, ça n’intéressait pas la Science de construire ses thèses sur la façon dont le couple amoureux s’organise en une relation duale stricte ou se dilue dans la relation triangulaire – question poussiéreuse et rebattue – ou encore des histoires de cordel dans lesquelles le vil séducteur s’envoie la pucelle, qui est obligée de se réfugier au couvent après la consommation de l’abus, pendant que le tiers exclu se fait sauter la cervelle, de chagrin.
Júlio Conrado, Desaparecido no Salon du Livre, Bertrand, 2001
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