Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Une étrange aventure

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 4 juin, 2008 @ 7:26

José de Almada Negreiros, également journaliste, essayiste et écrivain, est surtout connu pour sa peinture.

Une étrange aventure dans - époque contemporaine almada_pessoa

Almada Neigreiros, Portrait de Fernando Pessoa, 1954

- Il ne s’agit plus d’être incompris dans cette histoire de tortue, non ; maintenant il s’agit de la force de ma volonté. C’est elle qui est mise à l’épreuve, voilà l’occasion propice, ne perdons pas de temps ! Ne faiblissons pas !
Au bord du trou se trouvait une pelle en fer, de celles qu’utilisent les travailleurs ruraux. Il saisit la pelle et se mit à creuser le trou. La première pelletée de terre, la seconde, la troisième, et c’était merveille de contempler ce majestueux spectacle qui mettait nos yeux en présence du plus efficace des témoignages de ténacité depuis les anciens. En vérité, chaque fois qu’il enfonçait la pelle dans la terre, avec foi, avec force, et sans autre intention, on voyait qu’il y avait là une volonté entière ; et encore que ce fût scientifiquement impossible que la terre se fendît chaque fois qu’il y mettait la pelle, c’était pourtant l’indiscutable impression que son geste produisait. Ah, non ! Ce n’était pas un vulgaire travailleur rural. On voyait parfaitement que c’était quelqu’un qui était très volontaire et qui se trouvait là par hasard, parce qu’il se l’était lui-même imposé, il s’était forcé par nécessité spirituelle, pour des raisons différentes de celles des travailleurs ruraux, à l’accomplissement d’un devoir, un devoir important, une question de vie ou de mort : sa volonté.

Il en était déjà à la quatre-vingt-dixième pelletée de terre ; sans faiblir, avec le même enthousiasme que la première ; il était complètement indifférent à l’idée d’un déjeuner de plus ou de moins. Tortue d’eau ou pas, l’humanité allait assister la solidification de la volonté d’un homme.
A 1000 mètres pile de profondeur, l’homme très volontaire fut surpris par un doute douloureux : il n’était déjà plus sûr que ce soit bien la 50 000 000 84e. Impossible de recommencer, mieux valait perdre une pelletée.
Jusque là, aucune trace de passage ni du bâton, ni de l’eau, ni de la tortue. Tout portait à croire qu’il s’agissait d’un trou superflu ; toutefois, l’homme étant très volontaire, il savait qu’il devait aller au-delà de toutes ses mauvaises impressions. En fait, si cette tâche n’étaitt ni difficile ni ardue, la volonté ne pouvait en résulter superlativement dure et précieuse.
Toutes les notions de temps et d’espace, et les autres au travers desquelles un homme se rend compte du quotidien, furent toutes, l’une après l’autre, dispensées de participer au creusement. Maintenant que ses muscles disciplinés à un rythme unique s’étaient fait à ce qu’on leur demandait, tous les raisonnements et autres arabesques cérébrales étaient inutiles, il n’y avait plus d’autre nécessité que celle des muscles eux-mêmes.
Parfois la terre était plus facile à creuser grâce à d’épaisses couches de sable et de boue ; toutefois, ces facilités étaient bien atténuées quand arrivait le moment de traverser une de ces roches gigantesques que l’on trouve dans le sous-sol. Comme il n’y avait ni incitation ni stimulation possible dans ces moments d’arrêt, il est absolument indispensable que nous rappelions la décision avec laquelle l’homme très volontaire s’était saisi au début de la pelle du travailleur rural pour pouvoir justifier l’intensité et la durée de cette persévérance. Même la découverte du centre de la Terre, qui aurait pu aussi être source de réjouissance pour qui s’aventure dans les entrailles de notre planète, passa hélas inaperçue à l’homme très volontaire. Le trou de la tortue d’eau était vraiment interminable Au fur et à mesure qu’il avançait, il trouvait toujours et encore le trou. Ce n’est qu’ainsi qu’on explique la si rare présence des tortues d’eau à la surface, à cause de l’extension des corridors depuis la porte d’entrée jusqu’à leurs appartements proprement dits.

Almada Neigreiros, O cágado (In Obras Completas, vol. IV, Contos e Novelas, Imprensa Nacional – Casa da Moeda, seconde édition Lisbonne, 1993, première publication 1921)

(à suivre )

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2 commentaires »

  1. Timothine dit :

    Merci Lusina, j’adore cette histoire, j’attends la fin avec impatience !

  2. lusina dit :

    Merci, Tiimothine ! Bientôt la fin… (c’est un conte surréaliste, j’espère que tu l’as compris.)

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