drôle de bête…
Pendant ce temps, là en haut sur la terre, la famille de l’homme très volontaire, ayant commencé par le tenir pour disparu, avait opté en dernière extrémité pour le grand deuil, bloquant l’entrée de la chambre dans laquelle il dormait toutes les nuits.
Jusqu’à ce qu’un jour, alors qu’il ne croyait plus à la fin des trous, il n’y eut plus, en fait, de continuation de celui-ci, qui s’arrêtait exactement là, sans apothéose, sans commémoration, sans victoire, exactement comme un simple trou de rue dont on voit le fond au soleil. Enfin, arrivé là ce point, même la révolte ne servirait à rien.
Se retirant en lui-même, l’homme qui était très volontaire exigea des décisions, de nouvelles décisions, autres; mais rien à faire, il avait tout oublié, il s’était débarrassé de tout, il ne savait plus que creuser avec une pelle. Il avait, surtout, très sommeil, il se rappela son lit avec ses draps, son traversin et son mol oreiller, si lointain ! Maudite pelle ! La tortue d’eau ! Et il donna avec force un coup de pelle au fond du trou. Mais la pelle lui échappa des mains et alla plus loin qu’il le supposait, laissant une fente ouverte par où entrait une chose qu’il avait oubliée depuis longtemps – la lumière du soleil. Sa première sensation fut l’allégresse mais elle ne dura que trois secondes, la suivante fut de stupeur : aurait-il en vérité percé la Terre d’un côté à l’autre ?
Pour s’en assurer, il élargit la fente avec les ongles et regarda à l’extérieur. C’était un pays étranger ; les hommes, les femmes, les arbres, les collines et les maisons avaient des proportions différentes de celles que conservait son souvenir. Le soleil non plus n’était pas le même, il n’était pas jaune, il était en cuivre plein de vert-de-gris et il faisait du bruit avec ses reflets. Mais la sensation la plus étrange était encore à venir : ce fut que lorsqu’il voulut sortir du trou, et qu’ il pensa qu’il était debout sur le sol comme les habitants de ce pays étranger, mais en réalité la seule manière de voir les choses, bien sûr, était de se mettre les jambes en l’air…
Comme il avait très soif, il décida d’aller boire l’eau qui se trouvait près de là, et dut le faire en marchant sur les mains et en faisant l’arbre droit, car lorsqu’il était debout le sang lui montait à la tête. Alors il commença à comprendre qu’il n’y avait rien à espérer de ce pays où on ne parlait même pas avec la bouche, mais avec le nez.
D’un coup lui revint toute la nostalgie de sa maison, de sa famille et de sa chambre. Heureusement le chemin jusqu’à la maison était ouvert, c’était lui-même qui l’avait ouvert avec une pelle en fer. Il prit sa décision. Il se mit à remonter le trou dans l’autre sens. Il marcha, marcha, marcha ; il monta, monta, monta…
Quand il arriva en haut, à côté du trou il y avait quelque chose qui ne s’y trouvait pas auparavant – la plus grande montagne d’Europe, élevée par lui, petit à petit, à coup de pelletées de terre, une par une, jusqu’à ce qu’elle devienne énorme, colossale, sans le faire exprès la plus grande montagne d’Europe.
Cette montagne empêchait de voir la ville où était la maison de sa famille, la route qui menait à la ville, et les faubourgs de la ville qui faisaient un beau panorama. La montagne recouvrait tout ça et bien d’autres choses. L’homme très volontaire était extrêmement fatigué d’avoir parcouru deux fois le diamètre de la Terre. Il avait envie de dormir dans son lit bien-aimé, mais pour cela il fallait faire disparaître cette montagne la plus grande d’Europe de dessus la ville où se trouvaient la maison de sa famille. Alors, il alla chercher une autre pelle de travailleur rural et se mit aussitôt à défaire la montagne la plus grande d’Europe. Il rendait à la Terre, une par une, toutes les pelletées à l’aide desquelles il l’avait percée de part en part. Les croix des clochers commencèrent à apparaître, ainsi que les toits des maisons, les sommets des montagnes naturelles, la maison de sa famille, beaucoup de gens salis par la terre, parce qu’ils avaient été enterrés, d’autres qui restaient estropiés, et le reste comme avant.
L’homme qui était très maître de sa volonté pouvait enfin rentrer à la maison pour se reposer, mais il voulut faire plus, il voulut rendre à la Terre toutes les pelletées, toutes. Il en manquait peu, quelques douzaines. Au point où il en était, ça valait la peine de tout bien faire jusqu’au bout. Au moment où il allait remettre dans le trou la dernière pelletée, par conséquent la première qu’il avait enlevée au commencement, il remarqua que la motte bougeait toute seule, sans que personne n’y touche ; curieux, il voulut voir pourquoi – c’était la tortue d’eau.
In Obras Completas, vol. IV, Contos e Novelas, Imprensa Nacional – Casa da Moeda, seconde édition Lisbonne, 1993, première publication 1921)
6 commentaires »
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La chute est aussi surprenante qu’intéressante ! J’aimerais beaucoup m’amuser à illustrer cette histoire… Je sens qu’en attendant, je vais la faire lire à plein de monde, et je sens aussi qu’elle va me donner matière à cogiter… Merci encore pour ce conte si original, quand on a fini de lire, ce n’est pas fini encore, puisqu’il nous reste de quoi méditer pour un certain temps… ou un temps certain !
Quelle bonne idée, de l’illustrer… c’est vrai qu’elle donne matière à réflexion.
bonjour,
tres belle histoire
merci pour ton comm a tres bientot pour voire les illustrtions de thimotine
Dernière publication sur Lionel de BARROS, dessins et peintures : Guepe
coucou oula je n’ai plus le temps de faire les tours des blogs c’est la tristesse de bosser bosser et bientot ce sera la tristesse de ne plus bosser …..
Bon courage, Kathy, merci de ta visite et à bientôt!:)
A bientôt, Lionel, moi aussi j’ai hâte de voir ces illustrations…