Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour juillet, 2008

Vision

Posté : 28 juillet, 2008 @ 9:39 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 3 commentaires »

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Filets de pêche (dawn.blog4ever.com/)

Mais il existe un développement propre à chaque histoire ; et celle-ci me fait approcher ces limites que même l’imagination ne doit pas dépasser, sous peine de se perdre dans un no man’s land où la réalité et le fantastique se confondent. Un jour, en passant sur un autre quai à l’heure où les bateaux débarquaient la pêche de la nuit, j’ai observé un gigantesque filet dans lequel s’agitaient les poissons encore vivants ; et j’ai cru voir, surgissant au milieu de ce grouillement, le corps de la jeune femme, battant de sa queue de poisson, comme si elle avait fini par se changer en la sirène dont rêvaient tous les pêcheurs ; ils ignoraient que, s’ils l’entendaient leur parler à l’oreille, ils perdraient non seulement la tête mais aussi la raison, titubant sur le chemin du retour, et s’arrêtant au dernier coin de rue pour vider, d’un trait, la bouteille de vin qu’ils avaient dans la poche.

Ce fut une hallucination momentanée, mais elle me révéla qu’il n’y a pas de différence irrémédiable entre le monde réel et le monde des rêves, et que ce dernier, lorsqu’il interfère avec le plan où nous pensons que tout est sûr et défini pour toujours, nous donne soudain une clé que nous pourrons utiliser pour ouvrir la porte de cette chambre où l’on nous a dit de ne pas entrer, découvrant alors ce qui se passe derrière tous les murs dont l’opacité nous empêche de connaître la vie humaine dans sa plus grande évidence.

Nuno Júdice, L’ange de la tempête (O Anjo da Tempestade), La Différence, 2006

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Villanelle

Posté : 18 juillet, 2008 @ 8:53 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture, Poesie | 2 commentaires »

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Statue du poète idéal

*

Entre moi-même et moi,
ne sais ce qui se dressa,
tant je suis mon ennemi.

Un moment en grande erreur
je vécus avec moi-même,
lors dans le pire danger
se montre à moi le malheur.

La déception coûte cher,
mais elle ne me tua pas,
aussi cher qu’elle me coûtât !

Je me fis autre à moi-même,
entre chagrin et chagrin,
un malheur se déversa,
qui par grand malheur me vint.

Douleur neuve, crainte neuve,
fut celle qui me saisit ;
elle me tient, me voici.

Bernardim Ribeiro, « Entre mim mesmo e mim » (Cancioneiro Geral de Garcia de Resende, CCXIv.°, 1516)

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Ah, ces Provençaux !

Posté : 9 juillet, 2008 @ 7:43 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture, Poesie | 2 commentaires »

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Les Provençaux sont bons trouveurs,
et, disent-ils, c’est l’amour qui les guide,
mais ils ne trouvent qu’au temps des fleurs
et pas aux autres, et je sais bien
qu’ils n’ont pas tant d’amour en leur coeur
que celui que j’ai pour ma Dame.

Bien qu’ils trouvent et sachent louer
leur Dame du mieux et du meilleur
qu’ils peuvent, ils savent bien
que ceux qui trouvent à la saison des fleurs
et pas avant, Dieu me pardonne,
n’ont si grand amour que le mien.

Celui qui trouve et se met en joie
seulement au temps où les fleurs
ont des couleurs, et quand s’en va
ce temps, de raison de trouver
n’a plus, ne connaît pas la perdition
que je vis aujourd’hui, et qui va me tuer.

Dom Dinis de Portugal, (1261-1325)

Proençaes soen mui ben trobar
E dizen eles que é con amor,
Mays os que troban eno tempo da flor
E non en outro sey eu ben que non
An tan gran coyta no seu coraçon
Qual m’eu por mha senhor vejo levar.

Pero que troban e saben loar
Sas senhores o mays e o melhor
Que eles poden, são sabedor
Que os que troban, quand’a frol sazon
À, e non ante, se Deus mi perdon,
Non an tal coyta qual eu ey sen par.

Ca os que troban e que s’alegrar
Van eno tempo que tem a color
A frol consigu’e, tanto, que se fôr
Aquel tempo, logo en trobar razon
Non an, non viven qual perdiçon
Oj ‘eu vivo, que poys m’à de matar.

(CV 127-CBN 489)

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La table de l’inquisition

Posté : 6 juillet, 2008 @ 7:18 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 5 commentaires »

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*

In genere.
Ils le laissent dans la salle d’audience. Les inquisiteurs de la table le regardent. Le troisième inquisiteur lui ordonne de s’asseoir. Le forgeron s’assied sur le banc indiqué, destiné aux détenus de très humble condition. La nappe carmin lui aveugle les yeux comme la lumière l’a aveuglé, tous deux – nappe et lumière – se déversant devant lui comme les signes clairs du ciel et de l’enfer réunis en une parfaite fraternité.
Frère manoel de quadros commença l’interrogatoire réservé aux questions générales, et que l’on appelle pour cela ‘’ in genere ».
- Quel est votre nom ?
- Fernão vasques.
- Votre âge ?
- Trente ans.
- La qualité de votre sang ?
- Vieux chrétien.
[1]
- Quel est votre métier ?
- Forgeron.
- Où êtes-vous né ?
- A Monsaraz.
- Où demeurez-vous ?
- A Monsaraz.
Tout ceci, la table le savait, bien sûr. Ils continuèrent par de nombreuses questions extravagantes, se renseignèrent sur toute sa famille, parents et grands-parents des deux côtés, oncles et tantes des deux côtés, frères et sœurs, demandèrent la condition de chacun d‘eux, et celle des enfants et des neveux, s’il en avait. Et s’il était chrétien baptisé et confirmé, où l’avait-il été et par qui ; s’il assistait à la messe et s’il communiait et s’il se confessait et s’il faisait des œuvres pieuses comme il convient à un chrétien ; s’il savait lire et écrire et s’il avait étudié une science quelconque ; s’il était déjà sorti du royaume et pour aller où, dans quels pays il était allé et qui il avait rencontré dans ces pays. A toutes ces questions ainsi posées, le forgeron s’efforçait de répondre : il parlait des vivants et des morts, des absents et des proches, de ceux qui étaient prisonniers et de ceux qui étaient libres, de tous, enfin, de tous ceux que sa mémoire pouvait se rappeler. In genere. Puis, pendant un moment, les inquisiteurs ne demandèrent plus rien, se contentant de regarder du haut de leur infinie compassion de punisseurs le forgeron qui fixait toujours le carmin déversé devant ses yeux. Et lorsque le scribe eut achevé de tout noter et posé la plume, le premier inquisiteur parla de nouveau :
- Maintenant, forgeron fernão vasques, vous vous agenouillerez et vous vous signerez, et vous réciterez par cœur et successivement le notre père, l’ave maria, le credo, le salve regina, les commandements de la loi de dieu et de notre sainte mère l’église.
Le scribe reprit sa plume pour noter tous les oublis ou les hésitations dans les prières ainsi ordonnées.

Sérgio Luís de Carvalho, As horas de Monsaraz, Campo das Letras, 1997

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[1] Par opposition aux « Nouveaux Chrétiens », c’est à dire aux Juifs convertis. compteur MySpace 

frictions

Posté : 3 juillet, 2008 @ 8:35 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Berge du Zambèze

Novembre 1973. C’est à cette époque-là que Demi-Pluie était arrivé dans la région, déjà guerrier d’une autre guerre antérieure à celle-ci, tendu, impatient de tirer, déjà porteur de ce surnom qui lui collerait à la peau toute sa vie. Son groupe était entré par les terres du chef Nhacaroto et avait descendu le fleuve Metamboa, où ils avaient failli être repérés par une patrouille portugaise. Douze combattants, certains très expérimentés (les uns venaient de Katur, d’autres de Capoche), plus huit comrades zimbabwéens qu’il fallait emmener à la frontière de leur futur pays. Il s’était mis à pleuvoir tôt cette année-là, et il avait plu durant presque tout le trajet. Le chef de groupe, le camarade Mandala (Sept-Tirs), était en colère pour deux raisons. Le première, qu’il partageait avec les autres, était cette pluie chaude et persistante qui faisait que les vêtements, fumants, collaient sans arrêt au corps. La seconde était liée aux comrades qui les accompagnaient. Ceux-ci refusaient de quitter leurs bottes alors que l’ordre était de marcher pieds nus afin que leurs traces se confondent avec ceux des paysans et des pêcheurs. Les zimbabwéens disaient qu’ils étaient soldats et que les soldats marchaient toujours avec leurs bottes. Mandala avait débattu intérieurement pendant quelques jours, cherchant quelle attitude adopter. Ils étaient en territoire mozambicain et tant qu’ils n’avaient pas atteint la frontière du Sud ils lui devaient obéissance. Mais, d’un autre côté, ces comrades étaient très obstinés et Mandala ne voulait pas déclencher un conflit qui, dans ces circonstances, pourrait avoir de graves répercussions. De sorte que la décision fut sans cesse ajournée et qu’ils poursuivirent ainsi : les mozambicains pieds nus, les zimbabwéens bottés (ils finiraient par rester comme ça, pense à présent Demi-Pluie, en regardant l’uniforme impeccable du lieutenant Zvobo).

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Montemor

Posté : 2 juillet, 2008 @ 7:10 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture, Poesie | 2 commentaires »

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Château de Montemor

Toi, qui viens de Monte Mayor
toi, qui viens de Monte Mayor,
dis-moi un mot de ma senhor,
dis-moi un mot de ma senhor,

car, si de ses nouvelles je n’ai
triste et malheureux je serai ;
et grand péché elle fera
si elle ne m’aide pas.
Je suis né sous telle lune
que, pour mon malheur !
c’est en vain que je l’aime
et elle ne m’aime pas !

Toi, qui viens de voir ses yeux,
toi, qui viens de voir ses yeux,
dis-moi un mot d’elle, par Dieu,
dis-moi un mot d’elle, par Dieu,
car, si de ses nouvelles je n’ai
triste et malheureux je serai ;
et grand péché elle fera
si elle ne m’aide pas.

Je suis né sous telle lune
que, pour mon malheur !
c’est en vain que je l’aime
et qu’elle ne m’aime pas !

*****

Tu, que ora vêes de Monte Mayor

tu, que ora vêes de Monte Mayor
digas-me mandado de mha senhor,
digas-me mandado de mha senhor,

ca, se eu seu mandado
non vir, trist’e cuitado
serei; e gran pecado
fara, se non me val.
Ca en tal ora nado
foi que, mâs pecado!
Amo-a endoâdo,
E nunca end’ouvi al!

Tu, que ora viste os olhos seos,
tu, que ora viste os olhos seos,
digas-me mandado d’ela, por Deos,
digas-me mandado d’ela, por Deos,

ca, se eu seu se mandado…

Gil Sanchez (fils « bâtard » de D. Sancho I, mort en 1236)

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point de rupture

Posté : 1 juillet, 2008 @ 9:12 dans littérature et culture, musique et chansons | Pas de commentaires »

Dans le quotidien Diario de Noticias du 1er juillet, un article de  João Miguel Tavares  sur la langue choisie par les nouveaux groupes  portugais : (Portugals, The guys from the caravan, The pragmatic, Hands on approach…

« Tout comme ces garçons, dit le journaliste, je suis fils d’une culture immensément marquée par la langue anglaise, que j’aime beaucoup. Mais il devrait y avoir une certaine distance entre ce qui entre dans nos oreilles et ce qui sort de notre bouche. »

Et il ajoute :

 » Soit une chanson se réduit à sa mélodie, ce qui en dit long sur la décadence des paroles, ou sinon, on ne comprend pas comment un artiste portugais, pour s’exprimer publiquement, écarte la langue qu’il emploie dans la rue, dans ses conversations avec ses amis, dans ses déclarations d’amour.« 

 

Image de prévisualisation YouTube

The Guys from the caravan (groupe de Lisbonne)

Breaking Point