Vision
Filets de pêche (dawn.blog4ever.com/)
Mais il existe un développement propre à chaque histoire ; et celle-ci me fait approcher ces limites que même l’imagination ne doit pas dépasser, sous peine de se perdre dans un no man’s land où la réalité et le fantastique se confondent. Un jour, en passant sur un autre quai à l’heure où les bateaux débarquaient la pêche de la nuit, j’ai observé un gigantesque filet dans lequel s’agitaient les poissons encore vivants ; et j’ai cru voir, surgissant au milieu de ce grouillement, le corps de la jeune femme, battant de sa queue de poisson, comme si elle avait fini par se changer en la sirène dont rêvaient tous les pêcheurs ; ils ignoraient que, s’ils l’entendaient leur parler à l’oreille, ils perdraient non seulement la tête mais aussi la raison, titubant sur le chemin du retour, et s’arrêtant au dernier coin de rue pour vider, d’un trait, la bouteille de vin qu’ils avaient dans la poche.
Ce fut une hallucination momentanée, mais elle me révéla qu’il n’y a pas de différence irrémédiable entre le monde réel et le monde des rêves, et que ce dernier, lorsqu’il interfère avec le plan où nous pensons que tout est sûr et défini pour toujours, nous donne soudain une clé que nous pourrons utiliser pour ouvrir la porte de cette chambre où l’on nous a dit de ne pas entrer, découvrant alors ce qui se passe derrière tous les murs dont l’opacité nous empêche de connaître la vie humaine dans sa plus grande évidence.