conversation au désert
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C’était un voyage monotone et apparemment long. Pour me secouer d’une certaine somnolence, j’ai dit, à voix suffisamment haute:
- Aujourd’hui le ciel est trop vert.Mais personne n’a réagi. Ma conclusion, ou ma simple observation, avait paru tout à fait normale. Au bout d’une quinzaine de minutes, j’ai répété:
- En fait, ce vert du ciel n’est pas naturel.- Je ne trouve pas, a contré une dame, assise devant moi.
A partir de là je me suis désintéressé de la conversation et je ne me suis réveillé que lorsque j’ai entendu quelqu’un dans un lieu désert – une voix sage, sans passion:
- Il n’est d’autre but dans la vie que le chemin. C’est le chemin qui domine toutes nos autres actions. Hors de lui, point de salut. Il nous faut être attentifs et ne pas perdre de vue le sentier qui nous conduit au vrai chemin. C’est seulement après que nous pouvons nous fondre en lui et trouver le véritable sens de la longue marche.
- Il n’y a que le parfum des fleurs qui puisse se fondre dans le chemin, mais notre esprit… ai-je tenté d’objecter.
- Rappelez-vous l’œuvre de la vermoulure – assimiler le chemin en tant que connaissance du centre du monde, total et unique possible. Le détour n‘est ni direction ni mouvement – à peine manque de matière, absence d’imagination, si vous voulez. Il faut assimiler le chemin parcouru pour se débarrasser de lui et se situer dans un présent libéré du passé et des préoccupations de l’avenir.
- Vous avez déjà vu la vermoulure, personnellement? Je parie que celle contre laquelle j’ai collé mon oreille n’est pas en bois véritable. C’est un produit synthétique.
- Je reconnais que je n’en ai jamais vu, a -t-il répondu avec modestie et pondération. Mais je l’ai toujours imaginée clairement et mon expérience a confirmé de nombreuses fois cette vision: la vermoulure est le chemin parcouru, la vermoulure et le chemin sont une seule et même chose. Il ne serait jamais possible de trouver la vermoulure au milieu du chemin puisque ni ce qui bouge ne serait la vermoulure, ni le reste ne serait le bois.
- Vous parlez comme un sage. Mais cette idée commence à me ronger un peu trop vite. Elle ne me laisse pas suivre mon chemin.
Je me suis levé et je l’ai laissé avec un petit morceau de bois en plastique collé à l’oreille. Il l’écoutait avancer, deviner le chemin parfait: sans vermoulure, sans bois et sans mouvement. Ensuite (j’ai dû marcher au moins un quart d’heure), j’ai regardé en arrière et j’ai vu mon interlocuteur toujours immobile, à écouter – c’était une pierre énorme qui de loin ressemblait à une silhouette humaine assise. Le seul mystère, c’est de savoir comment j’ai été capable de voir de si près cette figure humaine. Le reste, qu’elle m’ait raconté la grande vérité au sujet du chemin, c’est le plus facile.
Dimíter Ánguelov, Nevoa com flor azul no meio, Colibri, 1999.
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