Une farce
Carnaval à Lisbonne
La conversation semblait trop cordiale, au vu d’une voiture dans cet état.
- Il m’a attrapé du côté droit, en me doublant, et il m’a arraché le phare. Et il ne s’est même pas arrêté. Il m’a fallu une course folle de deux kilomètres pour le dépasser, et j’ai freiné brusquement. Il est rentré en plein dans le coffre, mais il est arrivé à se dégager et il s’est de nouveau échappé avec deux sacs, un de pomme de terres et l’autre d’oignons, coincés entre le capot et le reste.
- Et vous n’avez plus la porte du coffre ?
- C’est le vent qui l’a emporté, le courant d’air.
- Et les portières arrières ?
- Celle de gauche, je l’ai laissé à la peinture, et l’autre a été arrachée de ses gonds quand une moto s’est mise en travers de ma route. Heureusement, ça a été rapide.
- Où est l’avantage de la rapidité ? Je ne saisis pas.
- Elle est entrée par le côté gauche et elle est sortie avec la portière par le côté droit. Il y avait juste une petite égratignure sur le casque. Le gars est même venu me serrer la main et m’a remercié de ne pas avoir fermé la portière de gauche.
- Vous ne pouvez pas circuler avec cette carcasse ! Si vous ne respectez pas la loi, ayez au moins un peu d’amour propre. Je ne vous mets pas de contravention, parce que c’est le Carnaval.
- Circuler, je peux. Mais aller en ligne droite, non. Il y a un petit problème à la direction.
- Dans ce cas, où allez-vous ?
- Je suis les panneaux. Ce quartier est plein de sens interdits. En tournant toujours à gauche j’espère, à la fin de la journée, arriver chez moi. En politique aussi ça se passe comme ça.
- Cela ne serait pas mieux de la faire remorquer ?
- Mais qui remorquerait une carcasse pareille ? Les gens ont honte. Ou bien ils pensent que c’est une blague pour le Carnaval.
- Vous avez eu de la chance. Vous n’êtes pas blessé ?
- Rien du tout. Et le moteur est impeccable.
L’agent de police nota le numéro d’immatriculation, à l’avant, contourna le véhicule et nota le numéro de l’arrière.
Lorsqu’il s’éloigna, l’homme indemne sortit de la voiture, en tira un siège, le plia, puis il plia aussi la carcasse, la mit dans un grand sac et s’en alla à pied.
« Quel grand artiste, pensai-je, avoir une seule occasion par an de se révéler. Créer un chef d’œuvre juste pour le Carnaval ! » Mais ensuite je me suis dit : « Enfin un agent de police qui a le sens de l’humour ! » et je me suis mis à rire. Et j’ai pensé aussitôt : « C’est une impression ! Ce n’est pas possible ! »
Ai-je vu ou non cette scène ? Quelquefois la distraction est plus riche que l’imagination. Bénie soit la fatigue !
Dimíter Ánguelov, Furacão no labirinto, Europa-America, 1996
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