Engrenages
Le papier où était dessiné le mécanisme de l’horloge s‘étalait sur la table de diego álvares. On voyait les barres, la roue dentée et la palette, ainsi que les axes et les poids; et sur ces dessins étaient posés les yeux du juge et ceux du ferronnier. Ces yeux auraient été incommodés par la forte chaleur de la forge, s’ils n’y avaient pas été accoutumés (comme c’était le cas du forgeron), ou si l’intérêt n’avait pas été supérieur à la gêne (comme pour le juge).
- C’est très difficile, juge. Il va falloir que je sois rigoureux et précis et que ma main soit ferme, comme si j’étais chirurgien ; et en même temps que je batte le fer avec la force que l’on exige d’un forgeron.
- Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas venu vous demander des comptes, diego álvares. Depuis le mois de mars je ne sais rien de ce qui ce qui se fait et je suis ici davantage pour être informé que pour contrôler votre travail.
Désignant alors les pièces terminées et celles qui étaient en cours de fabrication, le forgeron lui dit :
- Je garderai pour la fin les pièces les plus délicates, car alors je serai plus expérimenté. Celles-ci sont prêtes.
Il montrait du doigt ce à quoi sa voix faisait référence.
- Voici la roue dentée. Jugez de sa dimension et du fer qu’il a fallu pour la fabriquer. Ici vous avez les poids nécessaires à la régulation de votre horloge. Une ou deux pièces d’ajustage… comment va votre tour ?
Mais les yeux du juge ne se détachaient pas du coin de la forge où se trouvait la roue dentée ; elle lui arriverait au flanc s’il s’en approchait. C’était la fin de la première partie de son rêve qui sonnerait lorsque les pièces seraient emboîtées ; lorsque les poids seraient suspendus à leurs cordes enroulées sur un tambour ; lorsque, ces poids baissant, ils fourniraient au mécanisme la force suffisante pour actionner l’engrenage ; lorsque, pour maintenir le mouvement constant, on verrait fonctionner un ensemble formé de la roue dentée, de ses palettes et de sa barre de balancier ; lorsque cette roue dentée serait dans l’axe horizontal sur lequel elle s’appuyait et que les palettes seraient solidaires, pour leur part, d’un axe vertical ; lorsque serait visible, clairement visible, le mouvement de la roue, tournant des deux côtés, associée comme elle l’était à l’axe des palettes ; lorsque ce mouvement serait contrôlé par un axe approprié des palettes ; lorsqu’il pourrait contrôler lui-même le mouvement par une barre horizontale fixée à l’axe des palettes et les deux poids attachés aux extrémités de la barre. Il écarterait les poids pour retarder l’horloge et les rapprocherait pour l’avancer. Et son œuvre resterait après lui lorsque arriverait la fin de ses jours, et la postérité dirait de lui…
« Luís de Castro fut un bon juge. »
Sérgio Luís de Carvalho, As horas de Monsaraz, Campo das letras, 1997
2 commentaires »
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bonsoir, en général je n’aime pas trop les engrenages mais celui là vaut le détour! à bientôt j’espère
Merci de ta visite ! En effet, les premières horloges, c’était épique !