Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 23 octobre, 2008

le mystère de l’arbre

Posté : 23 octobre, 2008 @ 8:05 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Arbre sous le gel © CL

Il était sec et ébranché, ses fruits étaient des cadavres ou des corbeaux. Personne ne se souvenait de l’avoir vu porter des feuilles ni des fleurs, cet arbre énorme qui depuis des siècles servait de gibet : personne ne s’allongeait à l’ombre de lui, et même le soleil fuyait de l’arbre raide et épouvanté qui depuis des siècles servait de gibet.
Devant se trouvait le Palais royal, construit dans un bloc de pierre noire, et il n’y avait que le Roi, d’âme égale à son âme nue et tragique, qui s’était mis à l’aimer, l’arbre triste qui depuis des siècles servait de gibet.
Quelle maladie étrange, lente mais obstinée, tuait le Roi ? … Il n’aimait que les crépuscules, les agonies de la lumière, le passé, et la foule silencieuse venait le voir, à la fin de l’après-midi, la tête appuyée à la vitre de la fenêtre, le regard fixement posé sur les eaux vertes et boueuses et sur le spectre de l’arbre dressé devant le Palais. Tout ce qui était vivant s’était enfui de lui, car le Roi faisait punir l’amour et la jeunesse, et dix lieues à la ronde le pays avait été ravagé par ses guerriers brutaux. Il avait fait tout brûler, tout dévaster dans son royaume. Pas une feuille, pas un oiseau, pas un signe de vie. Ne restait debout que l’arbre, depuis des siècles raide et épouvanté, l’arbre maudit qui pendant son règne servait de gibet. Dans le silence tumulaire du Palais les pas du Roi résonnaient par les corridors déserts, lents ou précipités, selon la pensée tenace qui le dévorait, usant peu à peu les grandes dalles du sol. Il ne pouvait pas aimer. Ni la volupté, ni l’idéal, ni l’amour, ni la chair laiteuse des femmes ; tout lui était interdit. Heure après heure on entendait dans le Palais les pas du Roi malade, toute la nuit, tout la nuit à faire des rondes…
Et voilà qu’arriva le Printemps et tous les arbres, au-delà du territoire désolé, frissonnèrent et se couvrirent de fleurs. Des papillons nés de leur haleine s’accouplaient dans l’azur, et deux vagabonds amoureux, venus de pays de légendes, entrèrent et se perdirent, sur cette terre blessée, elle drappée dans la paille de ses cheveux blonds, lui svelte et heureux, prisonnier de son regard à elle. Ils étaient pauvres. Et ainsi, à peine vêtus, ils arrivaient enlacés avec le Printemps, couvrant la terre désertique sur laquelle ils marchaient de vie et d’amour. Ils étaient pauvres et heureux. Des fleurs voletaient sur leur nudité, et les pommiers des vergers clos poussaient leurs branches par-delà les murs, exprès pour les voir passer.

 

 

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