Sortilège
Scène de village en Algarve, détail (tissu appliqué d’Evelyne Régnault)
Si, la nuit précédente, elle [Zinga Cristina] avait attaché de l’importance au reportage de la RTPI, elle aurait peut-être pu imaginer ce qui était en train de se passer dans l’esprit de son nouvel amant portugais. Mais elle n’écoutait que les nouvelles de Globo, lesquelles, dit-on, sont moins fantaisistes que les journaux de la presse lusitanienne en ce qui concerne l’Angola. Ce qui s’était passé, c’est que Joaquim Manuel da Silva, on ne peut plus perturbé par le reportage auquel il avait assisté la veille, s’était dirigé, tôt le matin, vers le consulat portugais de Luanda, pour demander au fonctionnaire qui l’avait reçu si par hasard il savait quelque chose de l’arrivée imminente en Angola d’un groupe de femmes portugaises qui venaient chercher leurs maris. Il avait posé la question exactement comme ça, tout d’un coup et quasiment sans respirer, avant d’avoir le temps de regretter son initiative. Pris au dépourvu, le fonctionnaire eut besoin de quelques secondes avant de tenter de répondre.
- Quoi ? Des femmes ? Quelles femmes ? Et, dites-moi un peu, où sont les maris de ces femmes ? commença-t-il, comme s’il prenait son élan en vue d’une réponse plus articulée. La vérité, pourtant, c’était qu’il n’avait absolument aucune idée de ce dont ce type à l’air hagard était en train de parler.
Joaquim comprit.
- OK, dit-il, j’ai dû me tromper…
Toutefois, il ne renonça pas.
Il appela tous ses amis portugais, pour leur demander, en dissimulant mal son anxiété, si l’un d’eux avait vu le reportage de la RTPI sur le corps expéditionnaire des Portugaises qui, au nom de l’intégrité de la famille lusitanienne, se préparaient à envahir l’Angola, peut-être précédées, comme au temps des soi-disant découvertes – bien qu’alors les raisons aient été différentes – par un missionnaire bien intentionné. Malheureusement, aucun de ses compatriotes n’avait rien vu. Les uns parlaient du dernier match Benfica-Sporting, d’autres sirotaient des bières Sagres dans les tavernes, les trapalhões, et d’autres, encore, arpentaient les rues en voiture dans l’espoir de tomber sur une étudiante qui faisait de l’auto-stop. Presque tous jugèrent sa question un tantinet bizarre.
- Qu’est-ce qui t’arrive, bon sang, tu as bu ou quoi ? lui demandaient-ils tous, moqueurs.
Le soir, Joaquim Manuel da Silva pensa avoir trouvé la lumière au fond du tunnel, lorsque Miguel, dont l’épouse était venue avec lui du Portugal deux ans plus tôt, expliqua que, peu de temps avant, sa femme lui avait confié qu’elle l’avait accompagné sur les conseils de ses amies, quand il avait décidé de venir travailler en Angola, faute de quoi elle risquait d’être remplacée par une Angolaise. D’après ce qu’avait dit Miguel en riant, les amies en question croyaient fermement que les Angolaises possèdent un secret qui, pour utiliser leur expression, jette un sort à tous les blancs qui couchent avec elles. Cependant, Miguel n’avait pas plus de détails. Et, comme il n’était pas prudent de questionner l’épouse de son ami – au cas où elle ferait partie du groupe des manifestantes du Terreiro do Paço – Joaquim se sentit profondément découragé.
João Melo, The Serial Killer, Caminho, 2004
Un peu de kizomba : Rage sur le chemin de l’école…
4 commentaires »
Flux RSS des commentaires de cet article.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.
Interessante a lenda do feitiço que as angolanas exercem sobre seus amantes portugueses…Fiquei curiosa para saber mais. Abços
Avec Joao Melo, la suite est toujours inattendue ! Il n’explique rien, c’est un secret… mais les Brésiliennes aussi, Zoia, jettent des sort aux pauvres hommes portugais…
(Voir « la boulangère d’Aljubarrota »)
Hehehe!
Je connais des cas de sortilèges du genre dans ma famille!
Je ne connais pas du tout João Melo. Je devrais y jeter un coup d’oeil!
Oui, dommage qu’il ne soit pas publié ici,il a un humour très particulier; en tout cas il l’est au Portugal, on doit pouvoir le trouver sur les sites internet, (ou chez les libraires lusophones de Paris).