La revenante
Un moulin à eau dans la Serra de Monchique
- Ça me tue, il faut que je le dise : depuis le jour où j’ai vu Virgolina morte, je n’ai jamais cessé de la voir vivante. C’est elle qui me rend fou, je ne sais plus ce que je fais…
Il cracha sur le côté, mit les mains au fond de ses poches, et prit la porte.
Lentement, les autres posèrent les cartes. L’un d’entre eux les rassembla et, absorbé, se mit à les battre. Tous étaient silencieux. Ils ne se regardaient pas.
A partir de là, honteux de le dire, mais obligés de le faire, ils commencèrent, un à un, à voix basse et sur un ton de confidence, à se révéler les uns aux autres le secret qui leur appartenait à tous.
- Il n’y a pas que le Zé d’Aurora qui voit des choses : moi aussi je suis ensorcelé… Virgolina ne me laisse pas en paix.
Et pendant qu’ils se libéraient de leur souci constant, ils se sentaient un peu soulagés du mal qui faisait d’eux des frères. Petit à petit, ils racontèrent que, depuis le jour où ils l’avaient vue nue, au bord de l’aire, derrière la maison, ils n’avaient cessé de la sentir leur collant à la peau, leur emplissant les veines, les rendant fous de désir. Ils la voyaient partout.
Les conséquences de cette situation se faisaient sentir dans leurs foyers respectifs. Dans l’intimité, les femmes sentaient leurs maris différents – agités et haletants, insatisfaits ou sans désir pour elles. Avec, parfois, des cauchemars qui leur faisaient faire des bonds et s’asseoir dans le lit, hors d’haleine et terrorisés. Et quand elles entendaient, durant ces nuits où ils suffoquaient, sortir de la bouche écumante de leur homme le nom de la morte, un frisson d’effroi leur parcourait l’échine. C’est pourquoi elles commencèrent à s’assombrir elles aussi et voulurent savoir, chacune de son côté, si il se passait la même chose chez les autres, si le fantôme de cette dévergondée se mettait aussi dans leur lit, glaçant les draps.
Ce fut alors que Ti Chica dit que, le vendredi précédent, à la tombée de la nuit, alors qu’elle revenait de ramasser du bois pour se chauffer, un orage avait soudain éclaté, accompagné d’éclairs, de pluie et de vent, et que, lorsque le plus fort des coups de tonnerre avait retenti, elle avait vu une chèvre qui volait de l’à-pic de la combe vers l’autre berge de la rivière.
António da Silva Carriço, (Monchique) Entre o corpo e a rosa, Colibri, 2002
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