Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Les deux roses

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 6 novembre, 2008 @ 8:35

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Mais ça, c’était une vieille histoire où il y avait deux roses et une petite fille capricieuse avec les yeux si bleus que tout le monde s’étonnait qu’ils ne lui jaillissent pas du visage pour monter au ciel. Elle s’appelait Aidinha et elle n’avait pas plus de treize ans quand le pêcheur Luciano l’aperçut. Elle était en haut d’un mur, à regarder une course de taureaux, une fête qui fait courir les gens devant le danger. Mais qui fait, surtout, bouger de bas en haut et de haut en bas des regards qui porteraient le nom de Sexe, si ces terres étaient moins pieuses. C’est là que se produisent les romances ; que la première chimie se fait ou, dans la plupart des cas, que les convenances renflouent les plus faibles. Moi en haut et toi en bas, pour qu’un jour tu sois toi en bas et moi en haut. Mais il est peut-être tôt pour parler de ça parce que ce que les hommes attendent sur le quai ne s’est pas encore montré. Et le vent s’est mis à être plus froid et, si possible, plus humide, se chargeant les gouttes d’écume des vagues qui battent les rochers. Mais on raconte seulement, en guise d’entremets, que dans l’histoire des roses, il y avait deux cavaliers : un gros et l’autre maigre. Elle voulait décider, la donzelle, de qui baiserait ses sourires dans les mois (ou même, peut-être, les années !) qui suivraient. C’est pourquoi elle fit l’écœurée lorsqu’ils lui offrirent des limonades et des sucettes. Ils étaient deux et ils avaient presque vingt ans. Elle n’en avait pas plus de treize, mais sa vulve étroite était très ancienne, et les mystères qu’elle avait à chuchoter à sa propriétaire venaient de temps encore plus anciens.- Je veux que vous m’apportiez une fleur, leur dit-elle, en tordant les pétales de sa petite bouche.

 

Les jeunes hommes coururent, pendant que montait la testostérone. Ils partirent en courant, chacun de leur côté, voyant dans ce désir la possibilité littérale de l’élévation. Hautaine, Aidinha régnait du haut du mur de limousinage. Le gros qui était malin entra, rapide, dans un jardin déserté par sa propriétaire, où l’on cultivait surtout des orchidées et arracha, brusque, l’une d’elles, justement celle qui avait coûté à la jardinière six mois de souffrances et d’arrosage.L’autre, qui était maigre et idiot, cueillit sur les murs une fleur d’hortensia, parce qu’elle lui paraissait correspondre, très bien, à l’épithète de « Fleur ».Les garçons revinrent, ventre à terre, arrivant en même temps, entre deux lâchers de taureaux.- Ça ? leur dit-elle. De ça, j’en ai ici.Et effectivement, par une étrange coïncidence, le mur sur lequel elle était faisait face à un jardin qui contenait exclusivement des hortensias et des orchidées. - Apportez-moi une rose, dit-elle froidement. Et, si vous n’en trouvez pas, ce n’est même pas la peine que vous reveniez.Ils eurent tous les deux la même idée et ils grimpèrent, comme des frères, jusqu’à la montagne sans nom qui bordait le territoire de la commune et où un rosier sauvage donnait des fleurs tous les printemps. Ils cueillirent en silence deux des roses – chacun de son côté – et se mirent à descendre le chemin pierreux, entendant au loin les pétards et les cris de la foule. Ce ne fut qu’à mi-chemin qu’ils commençèrent à se battre, car ils savaient qu’on ne peut jamais compter sur la fraternité pour départager les concurrents. Ils s’envoyèrent des coups de poings avec conviction et roulèrent sur les pierres ; ils se déchirèrent les mains aux ronces, sans lâcher des yeux les deux roses qu’ils avaient déposées, religieusement, sur un caillou orangé. Et la lutte ne se termina que lorsque l’un d’eux tomba dans un trou recouvert de mousse et se mit à crier parce qu’il s’était cassé une jambe. L’autre regarda à l’intérieur, lissa sa frange avec de la salive, défroissa ses vêtements en bataille et acheva en jetant sur le membre blessé un rocher encore plus gros qui fit s’évanouir de douleur son rival . Puis il retourna à la fête, les deux roses à la main, pour les offrir à Aidinha, en haut de son mur, qui souriait à l’un des concurrents habillé de blanc. Elle lui susurrait, en minaudant, que ce dont elle avait le plus envie, c’était de boire une limonade…

Possidónio Cachapa, O mar por cima, Oficina do Livro, 2000.

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5 commentaires »

  1. Nikola dit :

    Très intéressant mélange de conte ancien et de roman moderne, qui entrouvre ce que le conte aime tenir secret, la puissance dévorante de la sexualité. Les deux protagonistes ont un petit côté « Bouvard et Pécuchet » amoureux, qui m’a bien fait rire.

  2. saxifrage dit :

    une fessée carabinée à cette allumeuse d’Aidinha. Amicalement Lusina

  3. lusina dit :

    Elle a son âge… et elle n’est pas tendre ! ;-)

  4. chantalflury dit :

    Très belle histoire assez tragique !

    Dernière publication sur Amour, Beauté, Désir : BONNE ANNEE

  5. lusina dit :

    Oui, Claire… la jeunesse est cruelle !

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