un amour de secrétaire
Mariana toujours : elle a de la tension dans les yeux, une tendance à la cataracte, elle passe ses journées à se plaindre de son cholestérol et de son acide urique au-dessus des taux maxima de référence, elle entreprend des régimes en prétendant que les médicaments « ne lui font rien » et se met à errer dans les boutiques de produits diététiques naturels pour faire provision d’emballages miraculeux et à fréquenter les restaurants macrobiotiques, dont les menus de salade et de riz complet la font rapidement ressembler à l’Olive de Popeye en version mûre. Elle renonce vite, c’est ce qui la sauve, en découvrant combien sont inesthétiques la peau excédentaire de son cou, son air fatigué, [...] mécontente de ce qu’elle voit, sans parler de son nez aplati de boxer, parce qu’elle ne s’en délivrera jamais, autant qu’elle vivra, à moins de subir une rhinoplastie – la chirurgie correctrice qui gommerait ce défaut – si elle était portée à ça. Mais comment diable une femme qui n’accepte pas la climatisation, refuse le PC et le portable, et remet en question l’utilité du fax, se risquerait-elle un jour à se soumettre au bistouri pour embellir son appendice nasal ? Pingre comme elle est, par-dessus le marché ? Là, je n’y crois pas. La dernière fois qu’elle est retournée à sa condition corpulente, elle est devenue hargneuse après avoir survécu à la grippe australienne, contractée juste au moment où elle allait envoyer son régime aux orties. Même en prenant du Prozac à des doses qui feraient hurler de terreur n’importe quel yuppie habitué à acheter sa jovialité en pharmacie, elle a pété les plombs, on a souvent du mal à comprendre ce qu’elle dit, elle a, en somme, une araignée dans le plafond, je pense même que son phosphore est irrémédiablement brûlé.
Júlio Conrado, Desaparecido no Salon du Livre, Bertrand, 2001