Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

coup de colère

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 17 janvier, 2009 @ 7:00

cobaye.gif

« C’est ce que nous vous demandons, Aureliano Viegas, que vous collaboriez comme cobaye pionnier dans le grand projet de l’Etat d’en finir avec les écrivains médiocres de manière que le Programme Juste Anonymat (inséré à l’horizon stratégique plus ambitieux du Meilleur des Mondes Recyclé) en passe d’être financé en grand par des fonds communautaires, puisse d’ores et déjà présenter des résultats palpables susceptibles de servir d’appât aux commissaires de Bruxelles qui doivent débloquer les fonds. Nous pouvons compter sur vous ? » Je lui ai fait un vaillant bras d‘honneur mental, j’ai dit à part moi « c’est ta mère qui était médiocre, de te faire comme ça », et j’ai à peine murmuré un « je verrai ce que je peux faire ». J’avais besoin de réfléchir mûrement à tout ce que je venais d’entendre. Les dieux étaient idiots mais la vie collective continuait à tourner au rythme de leurs tambours, voilà, on allait voir ce qu’on allait voir, ma salope.

Le lendemain matin l’infirmière est venue me casser les oreilles avec de sibyllines admonestations, disant que j’avais offensé sa petite maman chérie en pensées et en paroles déversées en majuscules, sur la feuille A4, de ma propre main.

 

Là où elle repose tranquillement, cette dame saura mieux que personne que ma motivation n’a pas été la basse vengeance d’un prisonnier amer dans ce qui ressemble à un attentat à l’intelligence de la mère dans les trompes de la fille, avec toute la charge de transmission héréditaire de la matière grise, ou du manque de matière grise, qu’implique l’allusion. Quand on me connaît, on sait que je me tamponne d’être séquestré, d’être un cobaye de la Science – pour le bien de l’humanité, j’espère – ou un professeur du secondaire qui fait ses cours au coup par coup. Je vais où le vent me pousse. La seule chose qui m’énerve, c’est lorsqu’on met en cause ma condition d’écrivain, et que, sans m’avoir lu, on me remet une attestation de médiocrité lors d’attaques qui me laissent abasourdi, sans me laisser le temps de riposter là où ça fait vraiment mal aux agresseurs. J’ai été stupéfait lorsque l’infirmière s’est approchée de moi, hurlante, brandissant des copies de ce que j’avais écrit la veille, bien que je sois toujours en possession des originaux, pliés en quatre et mis dans la poche de ma blouse, rangés plus tard sous le traversin, dans l’illusion de garantir au moins un coin discret d’intimité à ma prose policée. Mais non ! Mon coin était truffé de patients yeux électroniques disposés en étoile, pourvus de zooms puissants, c’était un lieu préparé pour qu’aucune transgression aux règles de la captivité, aucun disfonctionnement psychologique révélateur de perturbations dérivées du besoin compulsif de changer de genre littéraire – si je voulais survivre sans abandonner l’écriture – aucune manifestation de dignité professionnelle, n ‘échappe à la commissaire du cas visiblement exemplaire que semble être celui de cet ami à vous qui signe – encore – Aureliano Viegas.

Júlio Conrado, Desaparecido du Salon du Livre, Bertrand, 2001

Revenir à la page d’accueil
stats site

Pas de commentaire »

Pas encore de commentaire.

Flux RSS des commentaires de cet article.

Laisser un commentaire

 

rguiegu brahim - ÅíãÇÁÉ æÑÏ... |
dislui |
sarivoli |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Critica
| Pollution nocturne
| Hem Dolunay Hem Gökkuşağı