La pluie, variation
Dora surveille l’homme de la table à côté et les gouttes qui battent sur la vitre, le vent forme un filet de gouttes qui glisse, sur la vitre des milliers de rayures d’eau, l’homme n’arrête pas de taper des doigts sur le dessus de la table, il est impatient, il attend quelqu’un, Dora essaie de deviner qui est en retard, de l’autre côté de la porte du café arrive un homme qui traverse la rue si vite qu’une voiture le klaxonne, elle pense que c’est lui que l’homme attend mais conclut rapidement que non parce que l’homme dans la rue ne s’arrête pas, maintenant Dora regarde un homme qui s’abrite à l’entrée d’un magasin, une vieille femme qui resserre la veste d’un enfant qu’elle tient par la main, ils sont si drôles les gens vus d’ici, des poissons dans un aquarium, Dora dit tout bas à Ângelo, cet homme qui est assis à côté de nous en a marre d’attendre, encore heureux que tu ne sois pas arrivé en retard, je déteste attendre, Ângelo regarde l’homme comme s’il cherchait quelque chose, une façon d’apprendre à attendre la meilleure occasion pour dire ce qu’il a à dire, Dora demande, tu as fait un spectacle hier, oui et il a très bien marché, Ângelo se met à raconter le spectacle mais Dora l’interrompt,
il paraît que tu as quelque chose à me dire
[...]
une femme entre dans le café et sourit à l’homme de la table à côté, Dora dit,
c’est cette femme qu’il attendait, la femme qui vient d’arriver porte une veste grise qui va bien avec ce jour pluvieux et elle sent un parfum cher, elle dit bonjour à l’homme discrètement, comme si elle n’aurait pas dû être là, puis elle s’assoit et quitte ses gants de cuir fin en les faisant glisser lentement de ses doigts, Dora s’arrête sur les mains de la femme, des mains très maigres, presque de cire, un petit diamant à l’annulaire droit, elles ont l’air fausses, les mains que la femme pose sur la table du café, cet homme et cette femme se comportent comme des amants, ils ont peur que leurs yeux les dénoncent, Dora remarque les lèvres de la femme qui sont de la couleur des graines de grenade, elle n’avait jamais vu de femme aux lèvres couleur de graines de grenade, la femme a une voix posée et prononce les mots d’une manière très particulière, je suis en retard à cause de la pluie, une pause, je déteste ces journées, une autre pause, ces journées sont horribles, tu as vu depuis combien de temps il pleut sans arrêt, et ils disent que ça va continuer, l’homme hausse les épaules, il est tellement bizarre cet homme, je m’en fiche, je crois même que je préfère ce temps au ciel bleu, les journées de ciel bleu me mettent mal à l’aise, l’homme n’écoute pas la femme qui dit, ce matin je suis allée à la piscine, ça me fait du bien de nager, la femme semble habituée à ce que l’homme ne l’écoute pas, l’homme désigne la rue et dit quelque chose que Dora ne parvient pas à entendre à cause des éclats de rire d’un groupe de garçons qui occupent une table au fond du café,
Dulce Maria Cardoso, Les anges, Violeta (Os meus sentimentos), Esprit des péninsules, 2006
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