Une mission
Coucher de soleil à Tete (http://mocambique1.blogs.sapo.pt)
Il y a trois siècles, des prêtres barbus et catholiques avaient osé défier les anciens esprits M’bona, leur rachetant leur troupeau humain. Infatigables, remontant le Zambèze contre le courant, contournant ses traîtres bancs de sable, passant devant la cité de Tete, effectuant divers transbordements pour vaincre d’infranchissables barrières et changeant pour des tirants d’eau plus modestes que la nouvelle navigation puisse accepter, renonçant presque devant Zumbo mais poursuivant toujours, tournant à droite et remontant l’Aruângua, ils arrivaient enfin à ce bout inconnu du monde avec leur attirail et de nouveaux éléments de foi qui avaient même surpris Dedza, le grand dieu. Des béliers hydrauliques inouïs, qui allaient contre la nature en faisant monter l’eau alors qu’il est sûr et certain que la nature la fait descendre ; de nouvelles plantes, bonnes à manger mais assoiffées, qui ne poussent pas sans cette eau qui monte contre la nature.
Dans leurs épaisses soutanes brunes les prêtres étaient forts comme des taureaux et ils étaient en permanence rouges de chaleur et irascibles. Ils se déplaçaient rapidement et parlaient beaucoup à ce peuple sec et minuscule, donnaient des ordres sévères, comme si le temps ne suffisait pas pour exécuter un ordre donné (le peuple était intrigué par cet effort vain pour faire se hâter le temps, alors que même les enfants savent que c’est le temps qui contient les hommes et non le contraire).
Fatigués des jours passées dans cette agitation, les prêtres s’arrêtaient, prostrés, quand descendaient les nuits, comme pour se demander si ce qu’ils avaient fait était suffisant. La période de réflexion terminée, ils se jetaient alors sur les jeunes femmes des environs avec une voracité redoublée par la contention qu’au grand jour ils s’imposaient la plupart du temps (est cupiditati et ipsa tarda celeritas), révélant ainsi qu’au-delà de mvula et intermédiaires d’un dieu encore mal connu dans ce pays, chacun d’eux était aussi un homme dans la force de l’âge, également mu par des desseins particuliers de l’autre côté de leur monde. Et les jeunes filles cédées par les villages, qui n’appartenaient déjà plus à leur vieux monde et cherchaient de surcroît à trouver une bonne place dans le nouveau, se soumettaient en croyant que ces jeux faisaient partie du rituel dont elles entamaient l’apprentissage. Et comme elles le faisaient avec une sensualité joyeuse et innocente, l’énergie des hommes barbus, déjà en soi énorme, s’avivait, redoublant leur furie d’entreprendre dès que le jour pointait. Les béliers hydrauliques travaillaient alors plus vite, inondant les potagers et les champs, comme pour montrer à ce monde sec et dur que les promesses qu’ils avaient faites n’étaient pas du vent. Et le peuple s’abîmait dans l’étonnement, faisant ce qu’on lui demandait, évitant le travail chaque fois qu’il le pouvait, concluant que pour beaucoup qu’on ait vu il y avait toujours davantage à voir, et du nouveau.
João Paulo Borges Coelho (Mozambique) As duas sombras do rio, Caminho, 2000
2 commentaires »
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La poésie que tu distiles avec tant de tact par le truchement de magnifiques textes comme ceux de Joâo Paulo Borges Coelho, est un ravissement de l’esprit.
Ton blog est utile. Il attire le lecteur vers des sphères de beautés subtiles, métaphoriques, éthérées et également concrètes;à l’image des magnifiques photos que tu partages sur ton site. Elles me font me rappeler les anses de Nazare.
Merci Lusina. Un semeyen dans le monde.
Merci beaucoup, Fred ! Je m’efforce d’ouvrir quelques espaces méconnus, c’est vrai. Je suis contente que ça te plaise. Je te demanderais bien quelques conseils pour aménager le modeste bout d’espace dont j’ai la charge…;)