Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour février, 2009

funérailles de star

Posté : 24 février, 2009 @ 9:05 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

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Carnaval à Bahia, place Castro Alves

On n’avait jamais vu une chose pareille à Bahia : le cercueil que Tuta avait fait faire était entièrement en verre, comme celui des héroïnes de contes de fées. Allongée sur une couche de soie ivoire, toute de blanc vêtue, un bandana bleu ciel, la couleur de Iemanjá, lui couvant le front, Sirène était prête pour son dernier spectacle, elle semblait sourire.
A trois heures de l’après-midi le cortège funèbre quitta la place. En haut d’un char entièrement blanc, sans ornements, sans son ni lumière, entouré de drapeaux blancs et bleu ciel, le corps de Sirène sortit de la place Castro Alves sous une ovation triomphale. Encerclé par la foule, il commença le long parcours qui traverserait la ville jusqu’au cimetière de Jardin du Regret. A côté du cercueil, un seul homme en haut du char, le légendaire percussionniste Neguinho do Samba, qui marquait le lent rythme funèbre sur un énorme tambour maracana. Au long du trajet, Neguinho serait remplacé par Carlinhos Brown, Gustavo de Dalva, Monica Milliet et d’autres grands percussionnistes bahianais qui se relayaient pour un dernier hommage à Sirène. Par où passait le cortège la ville se taisait, on n’entendait que ce battement grave, un long, un court, comme un cœur. Sur les trottoirs, dans les rues, aux fenêtres, le peuple ovationnait sur son passage le corps de la reine de la joie. Tombant des fenêtres, des pluies de pétales de roses coloraient la blancheur du char funèbre. Tout de suite derrière, à côté de moi dans la voiture, pour la première fois, Mara pleurait discrètement derrière ses lunettes noires.

 

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carnaval

Posté : 22 février, 2009 @ 6:45 dans littérature et culture | 2 commentaires »

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Caetano Veloso, E hoje

 

(C’est aujourd’hui, le jour de fête, en serais-je le maître ?)

Confidence

Posté : 22 février, 2009 @ 7:45 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture, Poesie | Pas de commentaires »

Confidence dans - moyen âge/ XVIème siècle trob_s10

 

Vous avez vu, mesdames, quand l’autre jour
mon ami parlait avec moi,
il se plaignait, et pour le contenter,
je lui ai donné la ceinture que je portais,
mais il m’a demandé encore une folie.

 Et vous avez vu (on n’a jamais vu ça !)
qu’en se plaignant, mesdames, à sa guise,
il m’a fait ôter le cordon de ma chemise,
je le lui ai donné, ce fut une bêtise,
s’il avait pu ne plus rien demander !

Don Joan de Guilhade aura toujours
de moi, mes amies, ce qu’il voudra,
je lui ai déjà fait de nombreux dons,
je ne lui refuserai pas ma loyauté,
mais il me demande d’autres privautés.

C.V.348

C.B.N. 710

 Joan Garcia de Guilhade (Barcelos)

 

 

 

déontologie

Posté : 20 février, 2009 @ 8:27 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

 

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- Tu tétais encore ta mère, petit, quand Francisco Garção est entré à la revue. Il en avait marre des quotidiens, et il arrivait plein de gaz. Le premier boulot qu’il a fait pour le journal, c’était avec des types des compagnies de navigation. Si tu savais comme il a préparé cette entrevue ! Il a lu les dossiers d’un bout à l’autre, il a parlé à tous les gens qui connaissaient le sujet, bref. On est allés tous les deux au bureau du grand chef et notre distingué collègue avait déjà préparé sa polémique. Dès qu’il a branché le magnéto il s’est mis à poser des questions incroyables, qui remuaient vraiment les cadavres dans le placard, tu vois ce que je veux dire ? Le big boss l’a regardé d’un air ahuri, et il a dit qu’il avait décidé avec notre administrateur qu’ils nous donnaient deux pages de publicité, et que par conséquent l’idée c’était que Garção écrive un truc du genre laudatif, pas question de révéler des catastrophes aux lecteurs. Il a fait ce qu’il lui disait, le moyen de faire autrement. Dans ces cas-là personne ne nous fait chier, fiston. Quand on fait de la relation publique. Même si le syndicat nous interdit d’en faire. Ah ah ah.
Joaquim Peixoto se sentait de plus en plus malheureux. Ana Mafalda avait aussi appris à dire syndicat avec cet air secret de confrérie, mais lui n’en serait jamais capable. Il ne serait jamais capable de rien. Plus Sebastião Curto lui dévoilait son monde et plus il s’en sentait éloigné. Il soupira, la tête appuyée à la vitre. Le photographe pensa qu’il lui avait peut-être assené une dose trop lourde en une seule fois et voulut le consoler.
- De tout façon, rien de tout ça n’empêche que tu aies fait du bon travail, Quim. Tu as parlé à tout le monde, non ? Tu as tout compris. Tu peux raconter aux lecteurs en vacances une histoire super.
- Oui. C’est dommage que la petite n’ait pas vraiment tué l’Allemand, ça serait plus intéressant. Mais ça suffit pour un reportage pas trop mal sur la difficulté d’être jeune et de vivre dans un village. Ce qu’il faut c’est trouver de bons prétextes, c’est pas ce que dit le chef ?
Il avait essayé d’adopter le ton blasé du vrai professionnel, mais Sebastião Curto reçut sa réponse d’un claquement de langue qui marquait sa tristesse. Il se concentra sur le dépassement d’un autobus devenu fou, jura en direction du chauffeur en accompagnant ses mots de la mimique appropriée, et quand il se remit sur la bonne file il grommela au stagiaire ah. C’est bien.
- Donc tu vas suivre la version officielle, hein ?
- Pardon ? Je n’ai pas saisi.
- Je suis en train de dire que tu ne vas pas te mettre dans les embrouilles. Tu as peut-être raison, ça ne vaut pas la peine de risquer sa peau. Tu vas t’aligner sur leur histoire.

Clara Pinto Correia, Adeus, Princesa, Relógio d’Água, 1985

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Sermon aux poissons

Posté : 18 février, 2009 @ 7:10 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture | 4 commentaires »

Au Portugal, on a commémoré en février 2008 le 400 ème anniversaire de la naissance du Padre Antonio Vieira, « l’empereur de la langue portugaise », comme l’appelait Fernando Pessoa.

Sermon aux poissons dans - XVIIème/XVIIIème siècles paroleetutopie

Affiche du film de Manoel de Oliveira, Parole et utopie (2000)

En parlant des poissons, Aristote dit qu’ils sont les seuls animaux que l’on ne peut apprivoiser ni domestiquer. Parmi les animaux terrestres, le chien est si domestique, le cheval si soumis, le bœuf si serviable, le singe si amical ou si flatteur, et même les lions et les tigres, avec du talent et des bons traitements, peuvent être dressés. Des animaux de l’air, à part ces oiseaux de basse-cour qu’on élève, le perroquet nous parle, le rossignol chante pour nous, le faucon nous aide et nous distrait ; et même les grands rapaces, rétractant leurs serres, reconnaissent la main qui les nourrit. Les poissons, au contraire, vivent dans les mers et les fleuves, plongent dans leurs trous d’eau, se cachent dans leurs grottes, et il n’en est pas de si grand qui ne se défie de nous, ni de si petit qui ne nous fuie pas. Les auteurs condamnent communément cette condition des poissons, et l’attribuent à leur manque de docilité ou à leur excès d’insoumission ; mais je suis d’un avis très différent. Loin de condamner, je loue beaucoup les poissons et leur méfiance, dont il me semble qui, si elle n’était pas chez eux naturelle, serait une preuve de grande prudence.

ambian11 dans littérature et culture

Poissons ! Plus on se tient loin des hommes, mieux on se porte ; de leur commerce et de leur familiarité, Dieu vous délivre ! Si les animaux de la terre et de l’air veulent être leurs familiers, qu’ils le fassent, bien qu’ils le paient cher. Le rossignol chante pour eux, mais dans sa cage ; le perroquet leur raconte des histoires, mais rivé à sa chaîne ; le faucon va à la chasse avec eux, mais dans ses liens ; le singe leur fait des bouffonneries, mais attaché à sa branche; le chien est content de ronger un os, mais on l’emmène en laisse là où il ne veut pas aller ; le bœuf est fier qu’on dise qu’il est beau ou noble, mais avec le joug sur la nuque, tirant sur la charrue et la voiture ; le cheval s’enorgueillit de mâcher des mors dorés, mais sous le fouet et l’éperon ; et si les tigres ou les lions acceptent la ration de viande qu’ils n’ont pas chassée dans la nature, ils seront prisonniers et enfermés derrière des grilles de fer. Et pendant ce temps vous, poissons, loin des hommes et hors de cette servilité, vous vivrez entre vous, oui, mais comme des poissons dans l’eau. Partout vous avez l’exemple de cette vérité, que je veux vous rappeler, parce qu’il y a des philosophes qui disent que vous n’avez pas de mémoire.

Padre António Vieira (Lisbonne 1606 – Salvador de Bahia 1695)

Extrait du Sermão de Santo António aos Peixes (Sermon de Saint Antoine aux poissons)

(la photo de grotte sous-marine est de Claude Callado)

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rencontre vague

Posté : 17 février, 2009 @ 7:58 dans musique et chansons, Poesie | Pas de commentaires »

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Pedro Abrunhosa (Eu não sei quem te perdeu)

Je ne sais qui t’a perdue

Quand tu es venue,
Tu m’as montré tes mains vides,
Des mains comme mes jours,
Si légères et banales.
Et tu m’as demandé
De t’enlever ta peur,
Je t’ai dit un secret :
« Ne repars plus jamais ».

Et tu as dansé,
Virevolté sur le sol mouillé,
Dans un baiser appuyé
De bateau contre un quai.

Et une aile vole
Cette nuit,
Je suis maître du ciel,
Et je ne sais qui t’a perdue.
Tu m’as enlacé
Comme on enlace le temps,
La vie en un moment
En geste différents.
Tu as cessé,
Chanté contre ma poitrine,
En un imparfait baiser
Sous les porches dérobé.
Et tu es partie,
Sans me dire ton nom,
M’apportant le parfum
De tant de nuits encore.

Et une aile vole
A chacun de tes baisers,
Cette nuit,
Je suis le maître du ciel,
Et je ne sais qui t’a perdue.

Autre vidéo et biographie

Chansons à écouter : cliquez sur la colonne de droite, au-dessus de la carte du monde.

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Le bal de la paroisse

Posté : 15 février, 2009 @ 8:51 dans - époque contemporaine, musique et chansons | Pas de commentaires »

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Rui Veloso  au Coliseu de Porto en 1990

petites annonces

Posté : 13 février, 2009 @ 7:10 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 1 commentaire »

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- « Homme bien élevé, yeux verts, cultivé, propre, donnerait cours de mécanique céleste rue… n°… cave, téléphone … Secret absolu garanti. » N’importe quoi, dit-elle, et elle poursuivit : « Echange loup végétarien contre agneau carnivore. » Tu as vu cette idiotie ? Qu’est-ce qu’on peut faire d’un loup végétarien ? Mais l’idée de l’agneau est curieuse. C’est un homme qui a de l’imagination. Et il dit qu’il s’en occupera.
- Laisse-le s’en occuper. Je parie qu’il n’a même pas l’ombre de ce loup végétarien. Il veut simplement investir dans un savant naïf qui lui produise un agneau carnivore.
- « Je paie pour être seul » ! S’il paie, c’est pour ne pas être seul. L’annonce lui sert de prétexte.
- Au moins il ne dit pas : « J’ai beaucoup d’amour à te donner », ce qui est abominable. Qui est ce « te » ?
- Et qui est-ce qu’il paie, celui qui n’a même pas de nom ? Il paie tout le monde. Supposons. Et qu’est-ce que nous en concluons ? Que l’argent ne fait pas le bonheur.
- Mais qui te dit qu’il a de l’argent ? Peut-être qu’il rêve d’avoir de l’argent, beaucoup d’argent. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on peut être vraiment seul.
- Il ne veut pas qu’on le dérange. Et on n’en arrive là qu’après s’être débarrassé de quelqu’un.
- Alors il n’est pas seul.
- Non, non. Visiblement il est accompagné en pensée par quelqu’un. Et il veut l’oublier. Rencontrer quelqu’un, le mettre dehors et rester seul.
- « Je demande à tous les amis, quand ils me rencontreront dans la rue ou qu’ils me téléphoneront, qu’ils me rappellent leur nom parce que je ne me souviens du nom de personne. Je voudrais aussi qu’ils me rappellent mon nom à moi parce que je ne m’en souviens plus non plus. Et ce sera la meilleure preuve d’amitié. » Comment quelqu’un qui n’a ni amis ni mémoire peut penser à mettre une annonce comme ça ?
- Il n’est pas sans amis et sans mémoire. Il a encore des vestiges de mémoire – il se souvient qu’il a oublié et exactement de ce qu’il a oublié.
- Dans ce cas son monde était, si tant est qu’il ait pu être avant de ne plus être, un monde de noms.

Dimíter Ánguelov, Partida incessante, Nova Ática, 2001

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