petites annonces
- « Homme bien élevé, yeux verts, cultivé, propre, donnerait cours de mécanique céleste rue… n°… cave, téléphone … Secret absolu garanti. » N’importe quoi, dit-elle, et elle poursuivit : « Echange loup végétarien contre agneau carnivore. » Tu as vu cette idiotie ? Qu’est-ce qu’on peut faire d’un loup végétarien ? Mais l’idée de l’agneau est curieuse. C’est un homme qui a de l’imagination. Et il dit qu’il s’en occupera.
- Laisse-le s’en occuper. Je parie qu’il n’a même pas l’ombre de ce loup végétarien. Il veut simplement investir dans un savant naïf qui lui produise un agneau carnivore.
- « Je paie pour être seul » ! S’il paie, c’est pour ne pas être seul. L’annonce lui sert de prétexte.
- Au moins il ne dit pas : « J’ai beaucoup d’amour à te donner », ce qui est abominable. Qui est ce « te » ?
- Et qui est-ce qu’il paie, celui qui n’a même pas de nom ? Il paie tout le monde. Supposons. Et qu’est-ce que nous en concluons ? Que l’argent ne fait pas le bonheur.
- Mais qui te dit qu’il a de l’argent ? Peut-être qu’il rêve d’avoir de l’argent, beaucoup d’argent. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on peut être vraiment seul.
- Il ne veut pas qu’on le dérange. Et on n’en arrive là qu’après s’être débarrassé de quelqu’un.
- Alors il n’est pas seul.
- Non, non. Visiblement il est accompagné en pensée par quelqu’un. Et il veut l’oublier. Rencontrer quelqu’un, le mettre dehors et rester seul.
- « Je demande à tous les amis, quand ils me rencontreront dans la rue ou qu’ils me téléphoneront, qu’ils me rappellent leur nom parce que je ne me souviens du nom de personne. Je voudrais aussi qu’ils me rappellent mon nom à moi parce que je ne m’en souviens plus non plus. Et ce sera la meilleure preuve d’amitié. » Comment quelqu’un qui n’a ni amis ni mémoire peut penser à mettre une annonce comme ça ?
- Il n’est pas sans amis et sans mémoire. Il a encore des vestiges de mémoire – il se souvient qu’il a oublié et exactement de ce qu’il a oublié.
- Dans ce cas son monde était, si tant est qu’il ait pu être avant de ne plus être, un monde de noms.
Dimíter Ánguelov, Partida incessante, Nova Ática, 2001
Merci de votre visite ! En effet, cet auteur a un humour très spécial !