Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 20 février, 2009

déontologie

Posté : 20 février, 2009 @ 8:27 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

 

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- Tu tétais encore ta mère, petit, quand Francisco Garção est entré à la revue. Il en avait marre des quotidiens, et il arrivait plein de gaz. Le premier boulot qu’il a fait pour le journal, c’était avec des types des compagnies de navigation. Si tu savais comme il a préparé cette entrevue ! Il a lu les dossiers d’un bout à l’autre, il a parlé à tous les gens qui connaissaient le sujet, bref. On est allés tous les deux au bureau du grand chef et notre distingué collègue avait déjà préparé sa polémique. Dès qu’il a branché le magnéto il s’est mis à poser des questions incroyables, qui remuaient vraiment les cadavres dans le placard, tu vois ce que je veux dire ? Le big boss l’a regardé d’un air ahuri, et il a dit qu’il avait décidé avec notre administrateur qu’ils nous donnaient deux pages de publicité, et que par conséquent l’idée c’était que Garção écrive un truc du genre laudatif, pas question de révéler des catastrophes aux lecteurs. Il a fait ce qu’il lui disait, le moyen de faire autrement. Dans ces cas-là personne ne nous fait chier, fiston. Quand on fait de la relation publique. Même si le syndicat nous interdit d’en faire. Ah ah ah.
Joaquim Peixoto se sentait de plus en plus malheureux. Ana Mafalda avait aussi appris à dire syndicat avec cet air secret de confrérie, mais lui n’en serait jamais capable. Il ne serait jamais capable de rien. Plus Sebastião Curto lui dévoilait son monde et plus il s’en sentait éloigné. Il soupira, la tête appuyée à la vitre. Le photographe pensa qu’il lui avait peut-être assené une dose trop lourde en une seule fois et voulut le consoler.
- De tout façon, rien de tout ça n’empêche que tu aies fait du bon travail, Quim. Tu as parlé à tout le monde, non ? Tu as tout compris. Tu peux raconter aux lecteurs en vacances une histoire super.
- Oui. C’est dommage que la petite n’ait pas vraiment tué l’Allemand, ça serait plus intéressant. Mais ça suffit pour un reportage pas trop mal sur la difficulté d’être jeune et de vivre dans un village. Ce qu’il faut c’est trouver de bons prétextes, c’est pas ce que dit le chef ?
Il avait essayé d’adopter le ton blasé du vrai professionnel, mais Sebastião Curto reçut sa réponse d’un claquement de langue qui marquait sa tristesse. Il se concentra sur le dépassement d’un autobus devenu fou, jura en direction du chauffeur en accompagnant ses mots de la mimique appropriée, et quand il se remit sur la bonne file il grommela au stagiaire ah. C’est bien.
- Donc tu vas suivre la version officielle, hein ?
- Pardon ? Je n’ai pas saisi.
- Je suis en train de dire que tu ne vas pas te mettre dans les embrouilles. Tu as peut-être raison, ça ne vaut pas la peine de risquer sa peau. Tu vas t’aligner sur leur histoire.

Clara Pinto Correia, Adeus, Princesa, Relógio d’Água, 1985

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