funérailles de star
Carnaval à Bahia, place Castro Alves
On n’avait jamais vu une chose pareille à Bahia : le cercueil que Tuta avait fait faire était entièrement en verre, comme celui des héroïnes de contes de fées. Allongée sur une couche de soie ivoire, toute de blanc vêtue, un bandana bleu ciel, la couleur de Iemanjá, lui couvant le front, Sirène était prête pour son dernier spectacle, elle semblait sourire.
A trois heures de l’après-midi le cortège funèbre quitta la place. En haut d’un char entièrement blanc, sans ornements, sans son ni lumière, entouré de drapeaux blancs et bleu ciel, le corps de Sirène sortit de la place Castro Alves sous une ovation triomphale. Encerclé par la foule, il commença le long parcours qui traverserait la ville jusqu’au cimetière de Jardin du Regret. A côté du cercueil, un seul homme en haut du char, le légendaire percussionniste Neguinho do Samba, qui marquait le lent rythme funèbre sur un énorme tambour maracana. Au long du trajet, Neguinho serait remplacé par Carlinhos Brown, Gustavo de Dalva, Monica Milliet et d’autres grands percussionnistes bahianais qui se relayaient pour un dernier hommage à Sirène. Par où passait le cortège la ville se taisait, on n’entendait que ce battement grave, un long, un court, comme un cœur. Sur les trottoirs, dans les rues, aux fenêtres, le peuple ovationnait sur son passage le corps de la reine de la joie. Tombant des fenêtres, des pluies de pétales de roses coloraient la blancheur du char funèbre. Tout de suite derrière, à côté de moi dans la voiture, pour la première fois, Mara pleurait discrètement derrière ses lunettes noires.
Le Jardin du Regret se trouve en haut de la colline de Brotas, d’où l’on a une magnifique vue panoramique de la ville. On n’y voit ni tombeaux ni mausolées, juste de grandes surfaces de pelouse où, au milieu des arbres et des fleurs, sont gravés sur de petites pierres tombales le nom, les dates de naissance et de mort de l’occupant. Dans une ambiance bucolique, des constructions basses abritent un ossuaire, un crématorium, des salles de veillées, un héliport, tout y est moderne et confortable, tout a été conçu pour qu’on se sente le moins possible dans un cimetière.
Les forces de police n’ont pas pu, ni osé, retenir la foule, qui occupait pacifiquement l’endroit. Mara avait tout essayé, mais elle n’avait pas réussi à l’éviter : sur la pelouse drue, sous une chaleur étouffante, le gouverneur Juracy Bandeira prononcerait quelques mots. Une tente verte et blanche avait été montée sur la tombe ouverte ; à côté du cercueil, avec sa voix de baryton et ses gestes exubérants, le vétéran des hommes publics discourut en pur baroque bahianais durant quinze minutes. Il salua Sirène comme la synthèse de la bahianité dans une artiste populaire, son lien avec le peuple d’où elle venait et dans les bras duquel elle avait été portée en gloire à sa dernière demeure, il parla de la douleur incommensurable causée par la perte d’une amie personnelle, d’un exemple pour ses filles, pour les filles de Bahia, de l’exemple de la citoyenne qui avait participé activement à toutes les actions publiques pour lesquelles on l’avait sollicitée…
Nelson Motta (Bahia) O Canto da sereia, 2002, Asa 2005
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2 commentaires »
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Bonsoir, je me permets de vous laisser un petit mot ici car je n’ai pas trouvé d’autre moyen de vous contacter. Vous avez laissé un message sur un forum : en citant André Breton, à propos de l’androgyne, de l’homme Primordial. Pourriez-vous -si posible- me donner la référence de cette citation car je ne la trouve pas. Je vous en remercie d’avance.
Salutations.
TW
Bonjour, Tessa. Je vous promets de chercher… je ne sais plus mais je peux retrouver. Il faudra que vous regardiez de temps en temps.
Voilà ce que j’ai trouvé pour l’instant:
« Aux entretiens de Cerisy, les surréalistes présents furent invités à s’expliquer sur ce point. José Pierre dans sa réponse reprend les principaux arguments développés par Péret dans sa préface à l’Anthologie de l’amour sublime : l’importance extraordinaire du romantisme allemand pour les surréalistes éclaire leur conception de l’amour et de la femme, et, pour ce qui concerne Rimbaud, Jarry, Sade – les précurseurs du mouvement -, leur homosexualité s’explique avant tout par leur révolte et leur opposition au conformisme. Ferdinand Alquié semble assez proche de la vérité lorsqu’il avance que chez les surréalistes il y a quelque chose de commun entre l’amour du merveilleux et l’amour de la femme, l’amour hétérosexuel est avant tout amour de l’autre [19]. Mais il nous semble que l’une des raisons de l’exaltation de la femme doit être recherchée dans le mythe de l’androgyne. L’amour sublime, écrit Péret, “ est précisément cet accord parfait entre deux êtres harmonieusement appariés [20]. ” Breton voit dans le couple et l’amour électif, “ la reconstitution de l’Androgyne primordial ” »
A bientôt,
Lusina