Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour mars, 2009

Le sphinx

Posté : 31 mars, 2009 @ 7:50 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 14 commentaires »

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Dessin : Undeplus

Le paysage désertique sentait encore le brûlé – c’était une immensité noire. Brusquement je me trouvai face à un sphinx. Ce n’était pas un sphinx, c’était le Sphinx en personne, quasi immobile, qui transpirait, haletant.
- Qui a tué la chimère ? me demanda-t-Il sans sommations.
- Ceux qui ont tué cet animal impossible, répondis-je, du ton de celui qui n’a aucun doute parce qu’il ignore totalement le sujet.
- Et comment s’appelait cet animal ?
- Il n’avait pas de nom parce qu’il ne convenait à aucun. Aucun nom ne lui convenait, pour être plus rigoureux.
- Tu n’as pas compris. Ce que je veux dire, c’est : qui a tué l’espoir ?
- Le seigneur des affligés, quand il était premier ministre.
Le Sphinx sourit et baissa la tête en un mouvement si lent qu’un instant je crus avoir une hallucination.
- Quelle est la maladie la plus grave des philosophes ?
- L’ontologie.
- Et la drogue la moins chère ?
- Le bruit.
- Combien de fourmis pouvons-nous observer sans tirer de conclusions ?
- Entre une moitié et zéro.
- Quels sont les quatre esclaves de la volonté ?
- La raison, l’intelligence, l’esprit et le corps, répondis-je avec une conviction ferme et tranquille.
Quand le Sphinx se mit à se tordre de rire, je me sentis plus intrigué qu’inquiet : inadmissible que le Sphinx se laisse aller, je dirais même, inconcevable pour l’esprit humain. Je ne compris pas si c’était l’effet de surprise, si Lui-même connaissait la réponse ou si elle représentait une grande découverte, si, l’attribuant à mon trouble, il avait trouvé la réponse idiote, ou s’il ne faisait que gagner du temps avant de formuler une nouvelle question. N’était-il pas un être aimable, très souple et extrêmement sympathique, frôlant la mythologie ?
Dans les écrits de tous les voyageurs célèbres qui ont affronté le Sphinx, je n’ai pas trouvé une seule ligne qui parle de son rire, qui, bien qu’évoquant celui de la hyène, est majestueux, ample et ouvert, et tellement sinistre et lugubre qu’il nous rappelle l’ambition humaine de concevoir non seulement l’énigme de sa propre existence mais également la vie des autres, de tout ce qu’on s’imagine vivant et inexplicablement tranquille. Un rire qui se déverse jusqu’à l’horizon, qui ramollit et dissout toute pensée. Ou bien serait-ce exactement le contraire ?
Le Sphinx retrouva son sérieux et je perçus de la tristesse dans sa voix :

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Coup de foudre

Posté : 30 mars, 2009 @ 7:14 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Avalor était connu du père d’Arima, du temps où il allait par le monde en quête d’aventures, et ils étaient même grands amis. Lorsqu’il arriva, l’époux d’Aonia s’approcha d’Arima, et lui dit :
- Voici, Madame, Avalor, dont vous avez déjà entendu parler par Monsieur votre père, car ils s’apprécient beaucoup. Il m’est impossible de vous en dire plus sur lui, il est parfait en tout. Faites-moi la faveur de le traiter toujours avec considération.
A ces mots, Arima, qui était à ce moment-là aussi belle qu’à l’accoutumée et ne s’en apercevait pas, leva les yeux vers Avalor en répondant un « oui » timide, comme de bon gré, pour signifier que son désir correspondait à la prière qui lui était faite, car elle avait souvent entendu dire du bien de lui. Puis, après un instant, elle les baissa de cette manière si douce qui ne lui avait été donnée qu’à elle seule par faveur spéciale, car on raconte que jusque dans sa façon d’être, de marcher, et enfin dans tous ses autres gestes, la douceur avait été si suavement mise qu’il semblait bien qu’elle fût l’unique femme en ce lieu ; de sorte que ceci, et la manière dont toute cette scène s’était déroulée, se grava aussitôt au centre de l’âme d’Avalor. Il semble que cela devait être, et cela fut.
Durant tout le temps qui restait de la soirée, Avalor alla se placer à des endroits d’où il espérait voir Arima, mais il n’y parvint jamais, et il s’en alla donc vers son lieu de repos où, une fois couché, très préoccupé, il ne put dormir. Et comme il n’avait pas encore décidé en lui-même de requérir Arima d’amour, (il le voulait déjà sans l’avoir décidé), mécontent de lui-même, il faisait tout pour s’endormir, ne croyant pas qu’avoir vu Arima une seule fois pouvait occuper son temps et son esprit au point de lui interdire le sommeil. Mais en cela il se trompait. Un seul regard aussitôt baissé avait eu tant de pouvoir sur lui !

Bernardim Ribeiro, Menina e Moça, première édition 1554. (adapté)

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La vie ne suffit pas

Posté : 28 mars, 2009 @ 10:21 dans - époque contemporaine, musique et chansons, Poesie | Pas de commentaires »

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Viviane Parra, A Vida não chega (en concert à Tavira, 2007)

 

 

Deux lis sur la table
Une fenêtre ouverte sur la mer
J’ai la certitude
De qui attend ton retour

Un parfum de café
Des photos par terre
Et dans l’air une chanson
Me fait me souvenir

Tant de choses à te dire
Tant à te raconter
Que la vie ne suffit pas
J’ai le ciel et la mer
Et tant à te donner
Que la vie ne suffit pas

J’ai un poème écrit
Rangé dans un lieu près de la mer
J’ai le regard sur l’infini
Et je soupire doucement

Le temps s’est arrêté
Depuis que tu es parti
Est restée la nostalgie
Je ne supporte plus ton absence

Tant de choses à te dire
Tant à te raconter
Que la vie ne suffit pas
J’ai le ciel et la mer
Et je sais que je vais t’aimer
Pour l’éternité…

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La légende de la Dame pied-de-chèvre

Posté : 27 mars, 2009 @ 8:31 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture | 2 commentaires »

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Aquarelle de Ana Diogo (détail)

Dom Diego Lopes était très bon cavalier et, un jour qu’il était sur sa monture et guettait le sanglier, il entendit chanter d’une voix très aiguë une femme en haut d’un rocher.

Et il y alla, elle était très belle et très bien vêtue et il tomba très violemment amoureux d’elle et lui demanda qui elle était. Elle lui dit qu’elle était une dame de très haut lignage. Il lui dit que, puisqu’elle était une dame de très haut lignage, il l’épouserait, si elle voulait, car il était le maître de toute cette terre. Et elle lui dit qu’elle le ferait, s’il ne se signait jamais ; il le lui accorda et elle partit aussitôt avec lui.
Et cette dame était très belle et très bien faite de corps, mis à part qu’elle avait un pied fourchu, comme un pied de chèvre.
Et ils vécurent longtemps ensemble et eurent deux enfants ; un avait nom Enheguez Guerra, et l’autre était une fille et eu nom Dame …
Et quand ils mangeaient ensemble, Dom Diego Lopes et son épouse, il asseyait à côté de lui son fils et elle asseyait à côté d’elle sa fille, d’autre part. Et un jour il alla sur ses terres et tua un sanglier très grand et le rapporta à la maison et le posa devant lui là où il mangeait avec son épouse et ses enfants. Et ils jetèrent un os de la table et un mâtin et un petit chien se mirent à se battre, et le petit sauta sur le gros et lui enfonça les crocs dans la gorge et le tua.
Et Dom Diego Lopes, en voyant cela, le considéra comme un miracle et se signa en disant :
- Par Sainte Marie ! Qui a déjà vu une chose pareille ?
Et son épouse, quand elle le vit se signer, saisit sa fille et son fils, et Dom Diego Lopes arrêta son fils et ne voulut pas le laisser partir ; et elle s’enfuit avec sa fille par une brèche du mur du palais et s’en alla dans les montagnes, de sorte qu’on ne les revit plus jamais, ni elle ni sa fille.

Quarto livro de Linhagens, publié par Alexandre Herculano dans Portugaliae Monumenta Historica, 1856

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Une fois n’est pas coutume

Posté : 25 mars, 2009 @ 7:30 dans littérature et culture, Poesie | 2 commentaires »

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La plaine de l’Alentejo, vue de Monsaraz

sous les arches chaudes au pied des versants abrupts les mirages volatils renseignent mes olfactives envies sur d’éventuelles mises au point
coupables oui passez-moi les menottes, inventez d’improbables cellules cousues d’or!
coupable de ne rien attendre d’autre que le début de tout
de l’amour; de la joie; du silence; du partage
neuf-sang-d’érosion, je nais dans le déclic de ma décision; moi l’homme du consort
les écailleurs de sirènes industriels préfabriquaient du rêve virtuel, nous étions impatients de le consommer
le visage du passé avait un rictus si paisible qu’il m’était impossible de l’envier pourquoi diable s’habille-t-il si chichement
une évanescence parallèle s’épanouira dans un champ intérieur là je dormirai si profondément; coupable et roi.

Natsu

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Maîtresse de l’éclair et du vent

Posté : 24 mars, 2009 @ 7:39 dans littérature et culture, musique et chansons | 1 commentaire »

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Maria Bethânia (Salvador de Bahia), A Dona do Raio e do Vento

Je suis l’éclair de Inhansã
qui aveugle les armes des guerriers
Et je suis aussi le vent de Inhansã
Car Santa Bárbara est la sainte qui me guide.

Ma voix est le vent de mai
qui passe sur les airs, les mers et la terre
Et mon regard a la force de l’éclair
qui vient de mon coeur.

Je suis l’éclair de Inhansã
qui aveugle les armes des guerriers
Et je suis aussi le vent de Inhansã
Car Santa Bárbara est la sainte qui me guide.

Je ne connais pas de rafale de vent
Plus puissante que ma passion
Et quand l’amour tonne en moi
mon coeur fulgure.

Je suis la maison de l’éclair et du vent
Par où je passe, le tonnerre gronde et l’éclair luit
Car Inhansã depuis ma naissance
Est devenue la maîtresse de mon coeur.

Je suis l’éclair de Inhansã
qui aveugle les armes des guerriers
Et je suis aussi le vent de Inhansã
Car Santa Bárbara est la sainte qui me guide.

Je suis l’éclair de Inhansã
Et je suis aussi le vent de Inhansã
Je suis l’éclair de Inhansã

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Inhansã, Iansã, ou Oiá, est l’orixá maîtresse du vent, de l’éclair et des tempêtes dans le culte Yoruba; elle est assimilée à Santa Bárbara (Sainte Barbe)

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Angola 2002

Posté : 23 mars, 2009 @ 8:10 dans - époque contemporaine, vidéos documentaires | Pas de commentaires »

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 Bande annonce du film « La faim de la guerre » tourné en Angola en 2002 lors de la chute de l’Unita et l’ouverture de zones tenues alors par ce mouvement.

 

 

Le 4 avril 2002, un nouvel accord de cessez-le-feu est signé mettant fin officiellement à 27 ans d’un conflit (1975 – 2002) qui a fait un demi-million de morts (soit 115 par jours) et entraîné le déplacement de quatre millions de personnes. L’agriculture et les transports ont été presque entièrement détruits. Malgré l’aide alimentaire, la famine tue et le pays ne vit que de  l’exportation du pétrole. Comme d’autres pays, l’Angola réclame des indemnisations et des aides financières, que le Portugal et l’Union européenne lui accorde sous forme d ‘aide au développement (écoles, eau potable, routes, hôpitaux) ou de visas de travail. En dépit de la guerre civile, la scolarité, certes médiocre, a beaucoup augmenté (15% d’enfants scolarisés en 1975, 88% en 2005). 

Source : Wikipédia (voir L’histoire de l’Angola)

 

 

 

 

 

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cliché du temps qui passe

Posté : 22 mars, 2009 @ 7:05 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 4 commentaires »

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Si on le lui demandait, il dirait : « Je ne préfère aucune heure, elles sont toutes pareilles » ; mais ce n’était pas la vérité, il préférait les heures du crépuscule, les heures indéfinies qui séparent le jour de la nuit. Toutefois, il ne pouvait pas choisir. Il s’arrêta dans le premier lieu, prépara l’appareil et prit la première photographie au même endroit que la veille, le premier de son parcours quotidien. Oui, il préférait l’heure du jour précédent, une heure plus tôt, l’heure du crépuscule, vague, obscure, irréelle même, comme les lumières de la ville. Il poursuivit sa marche en se rappelant le cliché de la veille, pris aussi à cet endroit, mais une heure plus tôt. « Demain il fera plus froid », pensa-t-il. Le lendemain, il lui faudrait se mettre en route une heure plus tard qu’aujourd’hui. Et, bien sûr, deux heures plus tard que la veille. Une fois le cycle entier accompli – où il sortait de chez lui pour son parcours toujours une heure plus tard que le jour d’avant – il reprendrait son crépuscule préféré dans un peu plus d’une vingtaine de jours, avec une aube au milieu. Ainsi, ses yeux étaient réglés par les justes marges du temps : une heure aujourd’hui, une heure plus tard demain, une heure encore plus tard après-demain, comme toujours. Dans le second lieu, un peu plus loin, il prit une autre photographie. Et son regard, à travers l’appareil, se dirigea, bien sûr, vers le même point que d’habitude. L’immeuble qu’il voyait n’était déjà plus le même ; mois après mois, année après année, il avait vu comment passaient sur lui les signes du temps qui passe sur le fer forgé qui s’assombrit, les azulejos qui tombent les uns après les autres, doucement, ou les boiseries qui, plus que le reste, vieillissent. Et encore une fois, en regardant l’immeuble que de cet endroit il photographiait tous les jours, il sentit que ses émotions avaient deux faces : en tant qu’observateur de la réalité, exempté, il était neutre devant le changement de ce qu’il voyait ; en tant que simple humain, il souffrait que les cicatrices du temps marquent ce qu’il connaissait si bien, et mieux que personne. Mais n’était-ce pas là sa tâche ? Celle d’enregistrer, pour l’éternité, ce qui change ? Or, comme c’était une mission où les sentiments s’effacent devant l’obligation qu’il s’imposait à lui-même, il continua. Quelques pas plus loin, il se vit en avance de quelques minutes sur son horaire et attendit. « Personne n’est neutre », pensa-t-il. Et il se trouva sensé.

Sérgio Luís de Carvalho, Os rios da Babilónia, Campo das Letras, 1999

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