Soumission
Luanda, le Mussulo
- Quinho, on va se présenter à ce truc pour faire un stage de journalisme chez Actualités. Ecoute, ça paie bien. Et ça fait connaître ton nom, tu comprends ? Un avocat qui veut être célèbre doit commencer par être journaliste. Tu ne veux pas venir être journaliste avec moi, Quinho ? Allez, va leur porter nos C.V., ce qu’il faut, occupe-t-en, Quinho. Ça serait super. Tu ne penses pas que ça serait super ?
C’est mon chien, avait-elle expliqué plus tard aux photographes, aux rédacteurs, aux secrétaires, elle a dit à tout le monde que j’étais son chien. Et tout le monde se régalait. En août, Ana Mafalda avait convaincu le chef de la laisser partir pour l’Algarve. Près de trois semaines après son départ, Margarida était entrée un matin dans la salle, avait dit bonjour avec son efficace sympathie habituelle, et déposé une pile de coupures sur la table du stagiaire Joaquim Peixoto, avec son nom écrit sur chacune au stylo-feutre vert.
- Elles sont toutes pour la Une. Attention de ne pas les rendre après le bouclage de la page, comme la dernière fois.
Elle portait toujours au poignet deux larges bracelets d’ivoire, souvenir de son adolescence angolaise qui chargeait encore quelquefois sa voix de regrets romantiques, le soleil, le Mussolo, vous savez bien. Un ruban blanc disciplinait ses cheveux ondulés.
- Je pense que l’histoire de cette gamine de Baleizão qui a tué son petit ami au milieu de la nuit est pour vous. Parlez-en à Contreiras, quand il arrive.
Dans le reste de la pile il y avait des septuagénaires qui faisaient passer leurs femmes de vie à trépas dans le désespoir terminal de leur longue vie en un village quasi inexistant, des entreprises qui renvoyaient vingt ouvriers, le décision de remodeler un réseau d’égouts, des déclarations de secrétaires d’Etat, l’épouse du Président de la République dans un jardin d’enfants tout neuf et ambitieux. Plus l’inauguration d’une nouvelle usine de pâte à papier, quelque part au bord du magnifique bassin d’un fleuve désormais condamné. Joaquim Peixoto était plutôt contre les eucalyptus, mais tout était déjà prêt, en dix lignes strictes comme l’exigeaient ici les jours de bouclage, quand Alberto Contreiras avait ouvert la porte, très droit et très sec dans sa veste verte. Il portait une chemise à fines rayures, au col ouvert. Avant de s’intéresser à lui il avait posé soigneusement son sous-main au pied de la table, et il était allé en grommelant enfoncer dans les trous adéquats la prise de la lampe, qui n’arrêtait pas de se débrancher. Il alluma, caressa d’un geste distrait les piles de revues, les livres, les papiers épars, qui s’amoncelaient sur le bureau, et Joaquim Peixoto suivait tous ses mouvements grâce aux indications auditives qu’il recevait, en s’exerçant déjà au ton décontracté, aussi naturel et sûr de soi que possible, avec lequel il allait essayer de l’aborder.
Clara Pinto Correia, Adeus Princesa, Relógio d’Agua, 1985
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