la mouche bleue
C’était une mouche bleue aux ailes d’or et de grenat
Fille de Chine ou d’Hindoustan
Qui entre les feuilles est sortie d’un cœur de rose incarnat
Par une nuit de printemps.
Elle bourdonnait en volant, en volant elle bourdonnait,
Brillant au soleil dans son vol,
Et sous la lune – elle brillait plus fort que ne luirait
Un diamant du Grand Mogol.
Un triste paria qui l’a vue, trouvant cela peu ordinaire,
Un paria lui a demandé :
« Mouche, dis, ce brillant, qui ressemble à une chimère,
Dis, qui donc te l’a enseigné ? »
Alors elle, tout en virevoltant et voletant sans cesse :
- Je suis la vie, je suis la fleur
Des grâces, dit-elle, l’idéal de l’éternelle jeunesse,
Et aussi la gloire, et l’amour.
Alors lui, tendant sa main calleuse et rude, la touche
De ses gros doigts de charpentier ;
D’un geste vif, il attrape la lumineuse mouche,
Très curieux de l’examiner.
Il voulait voir, voulait savoir la cause de la magie
La tenant captive, il sourit,
Content, s’imaginant qu’il tenait le secret de la vie
Et chez lui il est reparti.
En toute hâte il arrive, examine, et on dirait
Qu’il s’adonne à l’occupation
Minutieusement, comme un homme qui voudrait
Disséquer sa propre illusion.
Il la dissèque, à tel point, et avec un tel art, qu’elle,
Terne, répugnante et vile,
A succombé ; et avec ça s’est évanouie celle
Qu’il vit fantastique et subtile.
Lors, quand il passe, l’aloès et la cardamome
Dans la tête, l’air joyeux,
On dit qu’il est devenu fou, et ne sait comme
Il a perdu sa mouche bleue.
Joaquim Maria Machado de Assis (Rio de Janeiro) As Occidentais, 1880