Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Le sphinx

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 31 mars, 2009 @ 7:50

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Dessin : Undeplus

Le paysage désertique sentait encore le brûlé – c’était une immensité noire. Brusquement je me trouvai face à un sphinx. Ce n’était pas un sphinx, c’était le Sphinx en personne, quasi immobile, qui transpirait, haletant.
- Qui a tué la chimère ? me demanda-t-Il sans sommations.
- Ceux qui ont tué cet animal impossible, répondis-je, du ton de celui qui n’a aucun doute parce qu’il ignore totalement le sujet.
- Et comment s’appelait cet animal ?
- Il n’avait pas de nom parce qu’il ne convenait à aucun. Aucun nom ne lui convenait, pour être plus rigoureux.
- Tu n’as pas compris. Ce que je veux dire, c’est : qui a tué l’espoir ?
- Le seigneur des affligés, quand il était premier ministre.
Le Sphinx sourit et baissa la tête en un mouvement si lent qu’un instant je crus avoir une hallucination.
- Quelle est la maladie la plus grave des philosophes ?
- L’ontologie.
- Et la drogue la moins chère ?
- Le bruit.
- Combien de fourmis pouvons-nous observer sans tirer de conclusions ?
- Entre une moitié et zéro.
- Quels sont les quatre esclaves de la volonté ?
- La raison, l’intelligence, l’esprit et le corps, répondis-je avec une conviction ferme et tranquille.
Quand le Sphinx se mit à se tordre de rire, je me sentis plus intrigué qu’inquiet : inadmissible que le Sphinx se laisse aller, je dirais même, inconcevable pour l’esprit humain. Je ne compris pas si c’était l’effet de surprise, si Lui-même connaissait la réponse ou si elle représentait une grande découverte, si, l’attribuant à mon trouble, il avait trouvé la réponse idiote, ou s’il ne faisait que gagner du temps avant de formuler une nouvelle question. N’était-il pas un être aimable, très souple et extrêmement sympathique, frôlant la mythologie ?
Dans les écrits de tous les voyageurs célèbres qui ont affronté le Sphinx, je n’ai pas trouvé une seule ligne qui parle de son rire, qui, bien qu’évoquant celui de la hyène, est majestueux, ample et ouvert, et tellement sinistre et lugubre qu’il nous rappelle l’ambition humaine de concevoir non seulement l’énigme de sa propre existence mais également la vie des autres, de tout ce qu’on s’imagine vivant et inexplicablement tranquille. Un rire qui se déverse jusqu’à l’horizon, qui ramollit et dissout toute pensée. Ou bien serait-ce exactement le contraire ?
Le Sphinx retrouva son sérieux et je perçus de la tristesse dans sa voix :

- Etre ou ne pas être ? Est-ce une question ?
- J’ai toujours entendu dire que vous ne posiez qu’une question…
- C’est faux ! dit-Il. Ceux qui ont raconté cette fable ne m’ont jamais rencontré.
- Quel est le sens de toutes ces questions ? risquai-je, question qui aurait pu être fatale.
- C’est moi qui pose les questions ! Mais je suis très heureux de te dire que le sens est le pur produit des circonstances. Je vois à ton regard que tu comprends tout.
- Le regard qui comprend tout ne voit rien, dis-je pour faire preuve d’un peu d’humilité. Si nous pouvions formuler correctement une question, la réponse serait sans importance.
- Laisse tomber la philosophie. Quelle est la réponse ?
- Etre ou ne pas être n’est pas une question, c’est la réponse à une question impossible.
- Bravo ! Parfait !
- Après toutes ces questions si compliquées, je n’ai pas droit à un certificat ou un diplôme quelconque ? Notre échange vaut un congrès international !
- A quoi te servira un diplôme dont tu ne sais même pas si tu pourras l’utiliser un jour ?
- Laissez-moi boire un verre d’eau.
- L’eau n’est pas bonne, ici. Prends une boisson. Par là – et il fit un signe de tête qui indiquait la droite. Tu as passé l’épreuve. Va-t-en. Et fais attention, ce terrain est miné de questions et d’interrogations !
Il serait inélégant de ne pas avouer que le Sphinx était une marionnette avec laquelle j’avais commencé à étudier l’art de la prestidigitation. Mais la voix était tout à fait celle du Sphinx.

Dimíter Ánguelov , Longe da espécie, inédit.

incendiebesteiro.jpg

Serra de Monchique, après l’incendie (2003)

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14 commentaires »

  1. albertobei dit :

    Terrível fotografia, o aspecto apocalíptico confere-lhe uma estranha humanidade.
    AB

  2. Nikola dit :

    Une nouvelle fois, je succombe à l’humour rigoureux et à la gravité désinvolte de Dimiter Anguelov. Merci beaucoup pour ce texte.

  3. lusina dit :

    Oui, Alberto, je peux dire que mon regard était terriblement humain quand je l’ai prise, cette photo; l’appareil tremblait… et j’ai eu du mal à appuyer. Comme un sacrilège. L’apocalypse à ma porte.

    Merci, Nikola. On ne sait jamais, à l’entrée d’un texte de Dimiter Anguelov, (ici le paysage brûlé) par où on va en sortir…
    :-)

  4. lusina dit :

    Je prends ! Mais s’il y a une suite, je veux bien ! :-)

  5. undeplus dit :

    haha ok pour une suite surtout que le sphinx est une de mes bestiole préféré…
    je t’expliquerai peut-être un jour…
    tiens tiens un p’tit merci serai pas de trop
    lol

  6. lusina dit :

    Tu vois, j’avais un peu deviné que ça t’intéresserait…;-)

    Merci.

  7. undeplus dit :

    ça se voit pas mais je suis un peu tout rouge ^^°

    Merci!!

  8. lusina dit :

    Merci à toi !

  9. lusina dit :

    Merci, on le voit mieux, tu ne crois pas ?

  10. undeplus dit :

    ouais c’est bien mieux …cool!

  11. link87 dit :

    Petite page d’histoire!
    C’est sympathique

  12. lusina dit :

    Merci, Links !

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