Enfer virtuel
Il jeta un instrument de torture contre le mur (qui ne devait pas être un mur mais qui y ressemblait), et il cria, apparemment libéré de toute peur :
- Vous pouvez me tuer, mais je ne me souviens de rien !
- Ici, en Enfer, on ne tue personne.
- Ce n’est qu’une sorte de psychanalyse : nous voulons comprendre ce qui t’a conduit à commettre tant d’erreurs et à être envoyé ici. Qu’est-ce qui s’est passé dans ton enfance ? Tu peux parler, nous sommes de simples fonctionnaires, et nous avons vu des choses pires.
- Mais qu’est-ce que c’est que cette putain de psychanalyse, puisque que je vous dis que je ne me souviens de rien ! Je n’ai pas eu d’enfance, ni d’adolescence, ni d’âge mûr. Je n‘ai connu qu’un passage d’ailleurs vers ici.
- Et quelle est la dernière chose dont tu te souviennes ?
- Il n’y a ni première ni dernière. Je ne me souviens que d’une phrase : « Il nous est impossible de prendre votre appel pour le moment. »
- Ah, je comprends. La téléphoniste est aussi passée entre nos mains.
- Cela ne devait pas être la téléphoniste mais le répondeur – dit une autre voix. – Nous l’avons torturé aussi et il semble qu’il ne se souvenait de rien non plus… il répétait toujours la même chose : « Il nous est impossible de prendre votre appel pour le moment. » Comme ils sont semblables, tous : les hommes, les téléphonistes et les répondeurs !
- Mais c’est absurde, c’est cafcaïen. Foutez-moi la paix !
- Kafka est toujours chez nous.
- Mais de quoi parlez-vous ? Qu’est-ce que c’est ce « cafca » ?
- Quoi, tu ne sais pas qui est Kafka, et pourtant tu emploies le mot « kafkaïen » ?
- Je ne suis que chauffeur de taxi…
-Ah, finalement tu te souviens. Et tu ne te souviens pas d’avoir un jour accompagné ledit Kafka ?
- Je ne demande pas leur nom aux clients.
- Pas la peine de demander. N’importe qui le reconnaîtrait !
- Quel cauchemar interminable !
- Ce n’est pas un cauchemar. Qu’est-ce que tu crois ! Ici tout est réel ! …
- Pour la déclaration d’impôts ! Au suivant ! Réveillez ce monsieur !
Dimíter Ánguelov, Furacão no labirinto, Europa-América, 1996
2 commentaires »
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marrant ça, moins c’est d’être obligée de mettre son adresse et tout le bataclan, enfin
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Ah bon ? La réalité dépasse la fiction ?