Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 10 avril, 2009

un sage

Posté : 10 avril, 2009 @ 7:34 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 3 commentaires »

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Minaret de Jam, Afghanistan (phot. D. Anguelov)

 

C’est ainsi que travaillait le vieux potier de Kashan, secondé seulement d’un apprenti qui l’aidait à la réalisation de nombreuses pièces plus particulières, au ménage, à mettre ses vêtements, à manger à des heures régulières, et partageait avec lui l’eau fraîche lorsque la chaleur du soleil persan était le plus brûlant. Ils interrompaient leur travail quand la voix du muezzin appelant à la prière, du haut du minaret de la mosquée principale, assurait soit la grandeur du dieu unique, soit la certitude qu’il valait mieux prier que dormir, opinions dont la discussion n’a pas sa place dans cette histoire.
C’est ainsi que travaillait le potier, sans plus d’interrogations ou de certitudes autres que de savoir que le travail bien fait et une vie qui cherche à être saine se suffisent à eux-mêmes.
Mais le monde qui entoure les sages, ou ceux qui tentent de l’être (et si souvent les deux sont synonymes) dans la plupart des cas ne permet pas que la vie saine se suffise à elle-même. La réputation qui vient du bon travail cause, le plus souvent, aussi bien le bonheur que la perdition. C‘est pourquoi le véritable début de l’histoire se situe le matin où deux gardes s’approchèrent de la porte de l’échoppe, l’épaisseur de leurs corps cachant le soleil qui de l’étroite rue pénétrait dans l’atelier, et, montrant du doigt le vieux potier, lui dire d’une voix qui ne tolérait pas de contestation :
- Toi, tu viens avec nous.
Le bon sens et la peur (combien de fois confondons-nous les deux ?) commandant que l’on ne pose pas de questions à des personnes si importantes sur la raison de tels ordres, le vieux potier se leva promptement de son banc, arrangea promptement sa cape blanche élimée par les ans, se couvrit promptement la tête de son turban. Comme il se dirigeait vers la porte, il eut le temps de voir l’apprenti se lever, fidèle, comme s’il voulait l’escorter (il serait une bien faible escorte). Mais sa douce main lui ordonna de se rasseoir, et sa vieille voix lui dit, tout bas :
- Tu restes ici.

Sérgio Luís de Carvalho, Retrato de S. Jerônimo em seu estudo, Campo das Letras, 2006

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