Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 16 avril, 2009

Alcácer Quibir

Posté : 16 avril, 2009 @ 7:12 dans - XIXème siècle, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Portrait de Dom Sebastião

 

Dom Sebastião emportait à bord la couronne d’or impériale, qu’il devrait mettre sur sa tête, après être entré dans Fez ; il emportait les uniformes et les hallebardes de sa garde d’honneur, pour la cérémonie du couronnement ; et le prêcheur Fernão da Silva emportait son sermon déjà composé et appris par cœur pour la solennelle occasion.
Cette « merveille fatale de notre ère » qui était née dans un berceau entouré de fantômes, marchait vers la guerre au milieu d’un cortège de présages funèbres. Une comète était apparue, et on disait que Pedro Nunes, l’astrologue, avait fait des prophéties. Un poisson s’était échoué sur la plage, qui avait sur un flanc une croix entre deux fouets, emblèmes de la passion du Rédempteur, et sur l’autre la date de 1578. On entendait des voix en plusieurs endroits. Dans le Minho, on avait vu dans le ciel un combat de chevaliers. Dom João III, sous forme de fantôme, était apparu à Luís de Moura, annonçant des morts. Vasco da Silveira, le capitaine de l’armée, avait entendu une voix lui dire « Hélas ! » et assurait que le roi avait voulu la voir et l’entendre, et que l’âme avait grandi, couleur de nuit, disant d’un ton dolent : « Je pleure pour moi ! je pleure pour toi ! je pleure pour tous ceux qui s’en vont !… » Mais, malgré la terreur ou peut-être à cause d’elle ceux qui partaient s’abandonnaient encore davantage à une orgie de luxe et de plaisir. Aimer, jouer, boire, tels étaient les moyens de fuir les visions épouvantables de l’effroi. En mer, la fête avait continué. Ils s’étaient reposés à Cadix, où ils étaient restés six jours à regarder des taureaux ; et, arrivés en Afrique, on débattit du plan de campagne au conseil. Les capitaines, prudents et expérimentés, proposaient de ne pas quitter la côte, de coopérer avec la flotte, en s’appuyant sur les places fortes portugaises de Tanger et d’Arzila, qui déjà du temps de Dom Sebastião étaient redevenues chrétiennes. Le roi s’opposa formellement à ce plan ; il voulait pénétrer au Maroc, vaincre l’ennemi sur ses terres et, en une carrière éclatante, aller à Fez se faire couronner empereur. Sa témérité était si grande qu’il vint à l’idée de certains de l’enfermer. Mais il était déjà trop tard, et les capitaines du tiers de ces aventuriers, ce groupe d’étudiants écervelés qui étaient d’accord avec Dom Sebastião, faisaient pleuvoir les railleries sur les plus prudents. Beaucoup voyaient là une fatale perdition, mais rares, si ce n’est aucun, étaient ceux qui se risquaient à parler. Comme le duc d’Aveiro, avec son autorité de grand du royaume, insistait encore, le roi lui dit que, s’il ne voulait pas se battre, il n’avait qu’à rester à bord. « Tout a été la faute d’erreurs commises par un seul homme. » Il y avait encore autre chose qui faisait que les hommes doutaient du succès de l’entreprise ; c’était l’impiété des plus jeunes. Ils avaient pour Dieu un grand mépris et plastronnaient contre le bon sens et l’expérience. On ne disait pas de messe dans le camp, il n’y avait pas même de « prière commune, comme on a coutume de le faire : il n’y eut que des jeux de dés, de qui perd gagne, des points d’honneur, des serments, et de la malhonnêteté.  » Dans les débris du champ de bataille, après la défaite, on trouva dix mille guitares.

Oliveira Martins, História de Portugal, 1879-1884

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João Cutileiro, Monumento a D. Sebastião, Marbre, 1972, Lagos.

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