Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Pour la science

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 21 mai, 2009 @ 8:20

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Je ne sais si on peut dire de cet espace que c’est une cellule. J’ai appris dans les livres et dans les films à associer la cellule carcérale aux notions d’asphyxie, d’exiguïté, de manque de lumière. Il n’y a pas ici de lumière naturelle, de lumière du jour, c’est vrai. Le soleil me manque, mais s’il s’agit, comme je le pense, d’une réelle séquestration, il n’est pas dans la condition de séquestré de pouvoir se balader à la lumière du jour. Il me faut accepter la situation jusqu’à ce que tout soit éclairci. J’ai compris : ma vie n’est pas en danger immédiat mais on est en train de se servir d’elle à d’étranges fins. Je suis, peut-être, un cobaye. Mais de quelle expérience ? Pour quoi faire ? On m’a installé à l’une des extrémités de ce qui peut ressembler à un laboratoire clandestin. Où ? A Lisbonne, sûrement, mais en un lieu inconnu, non localisable, secret, dans lequel je ne reconnais pas les odeurs, les rumeurs, le moindre indice qui me permette de l’identifier.

 

 

Je peux me déplacer à mon gré dans le périmètre restreint de mon coin – on y a mis un divan à ressorts bon marché, une armoire à vêtements, (je suis vêtu en ce moment d’une blouse grise, de pantoufles, de dessous minima, le costume et la valise que je portais sont rangés dans cette armoire) et la table, à proximité de sanitaires avec douche – il y a la climatisation, la nourriture est de bonne qualité, je n’ai pas à me plaindre au niveau du confort de base, je suis, disons, bien traité. La seule chose à laquelle je suis obligé, c’est à ingérer des liquides colorés, je les appellerai liqueurs, faute de mot plus approprié (bien que la jeune femme qui me surveille dise que ce sont des chromoborres vitaminés) j’essaierai de réclamer, si je peux, un dictionnaire des synonymes et un promptuaire, pour l’instant c’est prématuré, je n’ai aucune idée de ce que peuvent être les chromoborres ; des liqueurs, donc. Du côté opposé à mon coin il y a un laboratoire avec son attirail de vases communicants, de télescopes, d’ordinateurs, d’agrandissements photographiques de ce que je suppose être mon cerveau, des capteurs qui émettent sur des écrans blancs de nerveuses informations vitales, des flacons de verre – plein de ces fameux liquides colorés ou vides – des rames de papier attendant peut-être de minutieux rapports sur mon cas, dont, comme je l’ai dit, je n’ai aucune idée de ce qu’il peut être. Deux docteurs en uniforme brun travaillent en permanence dans le laboratoire. Ils se déplacent d’un côté à l’autre, très affairés, ou passent des heures de rang à commenter les résultats des tests, sans se préoccuper du reste de l’univers. A mi-chemin entre le laboratoire et mon coin se trouve le secrétaire en noyer massif de l’infirmière, toujours en uniforme de rigueur, blouses, bas, bottines, tout en blanc sauf la cornette bleu nuit en forme de canot de sauvetage avec le signe de la croix rouge à la proue. Elle m’assiste pendant la journée : elle s’occupe de la nourriture, des vêtements, des horaires de bain et de repas ; elle veille, surtout, au rituel rigide de l’ingestion des liqueurs : la verte, à jeun, la rose, au milieu de l’après-midi, la jaune, au coucher. Au début, j’ai refusé de les boire. Elle m’a aussitôt admonesté, sans états d’âme : « Réfléchissez à ce que vous faites. Qui arrive ici n’a pas à vouloir. Si vous refusez la voie orale, nous aurons recours, avec la collaboration de nos employés, à l’injection intraveineuse. Et dans ce cas, c’est une dose de cheval. »

Júlio Conrado, Desaparecido no Salon du Livre, Bertrand, 2001

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6 commentaires »

  1. Nikola dit :

    Encore un extrait qui fait pâlir de curiosité… De quoi peut-il bien s’agir? Et quels sont ces liquides, ces chromoborres étranges? Mélange de Kafka (l’énigmatique emprisonnement) et de Bioy Casares (les expérimentations effrayantes) qui stimule l’interrogation.

  2. lusina dit :

    Il y en aura peut-être un autre petit extrait un jour prochain… qui vaut son pesant de chromoborres et vous éclairera :-)

  3. Eric dit :

    kikoo
    je découvre tout juste ton univers et j’aime déjà beaucoup :-)
    plein de bonnes choses à venir j’espère, que je viendrai découvrir avec plaisir :-)

    Eric

  4. lusina dit :

    Merci de ta visite, Eric, reviens quand tu veux ! :)

  5. Eric dit :

    ça sera avec plaisir :-)
    merci également de ta visite

    @ très vite

    Eric

  6. lusina dit :

    A bientôt, Eric !

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