Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 23 mai, 2009

La ville

Posté : 23 mai, 2009 @ 9:30 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Le Cap

La longue route qui, très droite, semble chercher la mer. L’Estoril, l’hôpital, la Place des Indes, l’Oceana, et, enfin, le Grand Hôtel, étaient des noms qui défilaient dans la bouche du chauffeur et ne disaient rien aux trois passagers : ils étaient encore accrochés aux anciens noms, plus simples, moins emberlificotés ; il leur faudrait encore du temps pour absorber les nouveautés. Ils ne l’auraient peut-être pas en entier. Ils regardaient la ville avec méfiance. Comme elle était différente de la sérénité de la marée basse à Ibo, avec ses échos cristallins ; ou de la palmeraie infinie de Mucojo, avec sa pénombre et ses mystères ! Ils regardaient l’enchevêtrement des rues sans direction et ils n’avaient plus envie de faire un pas, de peur de se perdre. Ils regardaient les immeubles immenses se dressant légèrement au-dessus de la cime des arbres, s’arrogeant une perspective qu’il ne sied qu’à Dieu d’avoir, et désapprouvaient d’un hochement de tête.
« Combien de gens marchent ici perdus sans avoir personne pour les protéger », pensait Sá Caetana. Elle portait encore le costume de son pays, où presque tout le monde avait quelqu’un qui s’occupe de lui. Si un enfant cassait une vitre ou volait des fruits c’était directement au patron de son père qu’on annonçait la nouvelle, certain qu’il règlerait les comptes avec son domestique qui, à son tour, en arrivant à la maison, punirait son fils rebelle. Si quelqu’un buvait et devenait irrespectueux il y avait toujours au-dessus de lui un interlocuteur pour s’occuper de le censurer, un contremaître, un voisin qui inculque le repentir à l’intéressé dès qu’il revenait à son état normal, ou même avant. C’était dans cette verticalité solidaire où personne n’affrontait seul le monde que prenait ses bases tous les jours un avenir prévisible, un présent plus serein.
« Pas comme ici, s’étonnait Sá Caetana, où les gens se déplacent sans savoir où est leur place. » Dans un anonymat rempli d’anxiété. A qui demander des comptes ? De qui solliciter la protection ? Perdue dans ces pensées Sá Caetana sentait un frisson de froid, se fermait à la nouveauté.

João Paulo Borges Coelho, As visitas do Dr.Valdes, Caminho, 2004

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