Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Effet papillon

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 2 juin, 2009 @ 9:30

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Le tremblement de terre de Lisbonne de 1755 (http://bitlogger.blogspot.com)

Mon histoire est faite d’impatience. Je n’ai même pas envie de la raconter. Cela m’énerve. Ne m’interrompez pas. Ce n’est pas ce que vous pensez. Ne soyez pas plus impatient que moi. Pourquoi ce regard agité, cette expression tendue ? Du calme ! Pas de précipitation. Cela m’ennuie de toujours voir les gens pressés, impatients de faire quelque chose, d’avancer, même en direction d’un précipice. Ne tirez pas de conclusions. Ne levez pas les sourcils – il y a dans tout cela de la logique et de la cohérence. Je n’ai jamais compris pourquoi les gens sont étonnés, stupéfaits, enthousiasmés par des choses qu’ils n’ont pas encore comprises, qu’ils n’ont même pas aperçues.
Bien que, de mon point de vue, je le comprenne parfaitement. Est-ce que je me fais comprendre ? Arrêtez de tambouriner, cela me tire en arrière, au-delà du commencement de n’importe quelle histoire. A présent vous avez arrêté pour de bon. Vous savez ce que cela signifie après que cet abîme auquel j’ai fait référence s’est réveillé ? Cela signifie, et remarquez bien, si tant est que vous puissiez remarquer une chose aussi subtile : vous, en arrêtant de tambouriner, comme ça, subitement, vous avez percé le fond de cet abîme. Vous avez fait un trou mille fois plus petit que le cheveu d’un nouveau-né – il est plus profond que l’infini. Ne faites pas ce geste pour aplanir l’infini. L’infini n’est pas horizontal. C’est une erreur millénaire, que dis-je ! – primordiale. Si vous pouviez l’imaginer, parce que le sentir, vous n’en seriez pas capable. A la vitesse à laquelle ma pensée se précipite dans ce trou, votre cœur éclaterait et se désintègrerait en une très fine poussière. Et si je pouvais voir cette poussière je serais même capable d’écrire un poème, bien que je ne sois pas poète. Mais laissez-moi retrouver mon équilibre dans ce cadre effrayant, dans ce vertige qui est tellement petit qu’il ne pénètre aucune des cellules de mon cerveau. C’est une petitesse qui ne permet à rien d’adhérer, c’est quelque chose qui rejette toutes les formes, de façon liminaire, qui se refuse à les abriter ne serait-ce qu’un instant. Suivez mon raisonnement. Ne vous impatientez pas. Vous avez la tête de quelqu’un qui a été changé en pierre. Je n’en suis pas encore arrivé au point culminant de l’histoire. Ne perdez pas courage !Et j’ai ri très fort et je lui ai tapé sur l’épaule pour l’encourager. Non ! Ce n’est pas possible ! C’est une sculpture de plâtre, d’un artiste américain, assise sur un banc, à côté de moi, qui lit le journal. Je sens que ce coup inoffensif a provoqué une fissure invisible dans le plâtre, dans le banc, dans le jardin public, dans l’écorce terrestre, et a mis le magma en colère. Et le tremblement de terre ne devrait plus tarder. Sauve qui peut !

 

Dimíter Ánguelov, Trinta contos até ao fim da vida &etc, 1998.

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2 commentaires »

  1. Marie dit :

    Merci de me faire apprendre tellement sur cette littérature que, bien qu’étudiante en lettres, je ne connaissais pas!
    J’en apprends un peu plus à chaque agréable visite…

    C’est avec plaisir que je t’invite sur mes blogs!

    http://caelestia.unblog.fr
    http://marielcaelestia.unblog.fr

    Bisous
    Marie

  2. lusina dit :

    Je suis ravie si je peux te faire découvrir quelque chose qui te plaît !

    Merci de ta visite, Marie, et bisous.

    Lusina

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