argument de vente
Nicolas Machiavel
- Pardon ?
Vítor s’arrêta net de composer le numéro de téléphone et détourna l’écouteur de son visage, observant [Vera], surpris.
- Une photo de qui ?
- De moi, bien sûr. De préférence en pied. C’est évident, tu ne crois pas ? Méfiant comme l’est notre peuple, il faut lui faire connaître qui veut entrer chez lui. Encore plus : le lecteur inexpérimenté (c’est-à-dire tout le monde dans ce pays d’ignorants) n’aura pas le temps de se faire une image individuelle dans sa tête, si nous ne commençons pas par lui vendre la mienne.
Il posa le téléphone.
- Je ne comprends pas.
- Va te faire f… OK : quand tu aimes un livre, tu as tendance à vouloir que l’écrivain soit aussi parfait (physiquement et émotionnellement) que ce que tu viens de lire. Dans la plupart des cas, quand on regarde de près, surgissent de là des bêtes laides et mal embouchées. Nous leur pardonnons, mais notre enthousiasme diminue lorsqu’il s’agit d’acheter leur livre suivant.
- Oui… et alors ?
- Si le lecteur connaît, avant, la personne qui a écrit le livre, qu’elle est jolie, sympathique et qu’elle a l’air intelligent, il s’embarquera dans le livre avec une bonne impression. Et, s’il n’a pas une grande expérience de la lecture (c’est le cas de presque tous, comme on l’a déjà dit) il ne se posera même pas de questions sur le texte. Il va supposer qu’il est en train de boire une caipirinha et que, finalement, il a aimé.
- Il projette l’image dans le texte.
- Oui. Et comme le truc a des effets rétroactifs, au livre suivant, en voyant la photo, il va penser qu’il a aimé le premier, sans plus s’occuper de savoir si le texte était bon (et il l’est !) ou non.
Vítor regarda par la fenêtre et il lui sembla voir Machiavel qui se promenait à cheval dans la rue.
- Tu es forte.
Possidónio Cachapa, Rio da Glória, Oficina do livro, 2006