Le potier de Kashan
Kashan
C’était la première fois que le vieux potier entrait dans le palais du commandeur. Dans les chambres, antichambres et corridors qu’il traversait en trottant à petits pas, il regardait les azulejos géométriques, les mosaïques polychromes, les frises végétalistes.
« Beau travail », pensait-il.
Mais son appréciation professionnelle fut interrompue par la voix de l’un des gardes qui, ouvrant une dernière porte, cria vers l’intérieur :
- Voici le vieux potier, ô commandeur des croyants, lumière de Kashan.
Une lourde main sur l’épaule le fit s’agenouiller. Et, au fond de la salle qu’il ne voyait pas à cause de la position inclinée qui était la sienne, le potier entendit une autre voix, plus traînante, plus murmurante, qui lui ordonnait :
- Approche-toi, vieillard.
Le potier, courbé, s’approcha du fauteuil placé au fond de la pièce.
- Sais-tu qui je suis, vieillard ?
- Le seigneur de cette terre, le commandeur des croyants, la lumière de Kashan.
Sur le visage de l’homme assis sur son trône un sourire s’ébaucha.
- Et sais-tu pourquoi tu es là, vieillard ?
- Je l’ignore, seigneur.
Le sourire s’évanouit du visage du commandeur.
- Qu’ignores-tu, vieillard ?
(Et comme, soudain, son sourire s’était fait moins franc et sa voix plus ferme…)
- Je l’ignore, gouverneur des croyants et lumière de Kashan.
Le sourire revint sur le visage murmurant du commandeur.
- Eh bien je peux te dire, vieillard, que je veux que tu partages un peu de l’honneur que je concède à mes sujets quand je leur demande un service.
Le commandeur se leva du fauteuil, s’approcha du potier et lui ordonna :
- Viens avec moi.
Et il se mit en marche à travers son palais, suivi du potier qui de nouveau courait presque, de deux des gardes derrière lui comme des chiens très fidèles, et d’un garçon qui aérait avec un grand éventail les narines hautaines du gouverneur, afin que la lumière de Kashan ne s’échauffe pas trop dans les aigreurs du climat. Le groupe passa ainsi par plusieurs corridors, chacun avec son ensemble d’azulejos et de mosaïques, le commandeur devant qui trottait d’un pas sûr, hautain et assuré, ne s’interrompant qu’au moment où, dans une courbe rapide, le garçon à l’éventail ne put éviter qu’une plume qui dépassait frôle la joue du commandeur, faisant que celui-ci lève promptement la main et soufflette le visage du jeune garçon.
- Imbécile, s’exclama le commandeur avant de s’essuyer la joue pour effacer la trace de ce contact impur.