le fou du roi
Château de Guimarães
Le sort des armes et la vengeance de Dom Bibas avaient décidé de la destinée future du Portugal. Ce ne fut pas la première fois, ce ne sera pas non plus la dernière, qu’une bataille ou un vieil entêté influent sur l’existence ou la non-existence, la façon d’être ou de ne pas être de ces corps moraux appelés nations, qui malgré leur individualité, en théorie idéale et abstraite, paraissent tout de même des corps physiques, par leur manque de volonté et d’intelligence.
Une féroce bataille avait eu lieu dans la campagne de São Mamede, à côté de Guimarães, où l’armée de l’infant avait affronté celle de sa mère et du comte de Trava. Après un grand conflit, Afonso Henriques avait triomphé, et Dona Teresa s’était vue obligée de fuir avec l’orgueilleux étranger, et d’aller s’enfermer dans le château de Lanhoso, à deux lieues de distance de l’endroit du combat.
Mais pourquoi les vaincus n’ont-ils pas cherché à s’abriter dans les murs et les tours solides du château de Guimarães ? C’est ce que l’Histoire ne nous dit pas. Peu importe : nous le disons, nous. L’histoire n’a pas connu Dom Bibas, et Dom Bibas, c’est dans le secret le plus total que nous ne révélons ici au lecteur, nous donne la clé de ce mystère. Le bouffon avait rendu impossible un tel arbitrage, et peut-être avait-il aidé à faire descendre du ciel la bénédiction qui protégea les armes de Afonso Henriques.
Celui-ci n’avait oublié ni pourquoi ni comment le courageux seigneur da Maia avait échappé aux griffes du noble tigre de Galice. La lance dressée de Gonçalo Mendes n’avait pas reluit au soleil de la lutte. Pourtant, alors que l’engagement était le plus ardent, plusieurs arbalétriers, qu’on voyait au loin emplissant les chemins de ronde et les airées des murailles et des tours du redoutable château, commencèrent à vaciller et à courir d’un côté à l’autre, et peu de temps après, certains, en tombant entre les créneaux, firent éclabousser les eaux bourbeuses et verdâtres des douves. Les habitants du bourg, accourant pour découvrir la cause du terrible spectacle auquel ils assistaient, entendirent se mêler sur la hauteur les acclamations destinées à l’infant et les cris et gémissements de ceux qui mouraient. Le pont-levis s’ouvrit alors, et les bourgeois qui regardaient les murs les virent de nouveau peuplés d’hommes d’armes, au lieu d’arbalétriers, et la bannière d’Afonso Henriques fut hissée sur le donjon.
Alexandre Herculano, O Bobo, (Biblioteca Ulisseia), première édition 1878.