Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour juillet, 2009

Paranoia

Posté : 31 juillet, 2009 @ 7:10 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

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- Vous avez des herbes de Provence ? demanda quelqu’un à côté de moi.
- Nous n’avons que des produits du pays !
« Voilà que nous aspirons à récupérer aussi la Provence, après la Galice ? », pensai-je, et mon doute fit un bond par-delà les Pyrénées.
- Je ne me souvenais pas que nous avions une frontière commune avec la France, dis-je, pour ne pas me montrer indifférent à un problème national.
- Et alors, bien sûr ! Il y a là-bas plus d’un million de nos compatriotes. S’ils se donnaient la main ils feraient le tour de la moitié de l’Europe…
- Voyons voir. Un million multiplié par un mètre soixante (en moyenne, à cause des enfants, les bébés ne comptent pas) cela fait un million soixante mille mètres. Non, ça ne suffit pas. Encore moins si c’est…
Mais à ce stade mon raisonnement s’interrompit. J’eus un sursaut de terreur : c’était une pensée nationale, qui n’en était pas moins provinciale. J’avais lu dans un livre comment dans l’ancien temps on conquérait des pays et des territoires étrangers en y semant des mauvaises herbes.
- Vous avez des mauvaises herbes ? demandai-je.
- Dans le magasin d’à côté, me répondit-on promptement.
Je sortis en direction de ce qui me semblait être à côté. C’était un magasin d’armes. Je comprenais : j’avais répondu au mot de passe sans le vouloir, et j’étais déjà impliqué dans une conspiration dont je n’avais pas la moindre idée.

Dimíter Ánguelov, Partida incessante, Nova Ática , 2001

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Nuit de voyage

Posté : 30 juillet, 2009 @ 7:00 dans - époque contemporaine, littérature et culture, Poesie | 13 commentaires »

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Marée basse (www.meteomania.it)

J’ai aimé ton inquiétude; et tu m’as dit que
je t’avais aimée sans savoir pourquoi, que les marées annonçaient
le clair de lune qui n’est pas venu, qu’il n’avait pas été besoin
de regarder le fond transparent des paroles
pour que leur vérité nous touche, que ta main
avait cueilli le fruit du premier arbre sans que rien
ne l’en empêche.

Je t’ai aimée sans avoir la certitude du matin, sans entendre
le vent qui a fait battre les fenêtres dans un écho du passé,
sans ouvrir les rideaux du monde pour que
personne ne nous voie, sans éteindre de ton visage
l’éclat de la vie, pendant que les oiseaux dormaient,
et que la liqueur du songe se déversait sur nos corps
qui découpaient la nuit.

Mais en suivant son chemin, l’azur
a fleuri des cendres, la musique a éclos
des silences de l’aurore, et dans tes yeux
le jour s’est levé quand tu m’as dit que
je t’avais aimée, sans savoir pourquoi.

Nuno Júdice, 4 mars 2007

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Découverte

Posté : 29 juillet, 2009 @ 7:22 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture | 2 commentaires »

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Indiens tupis (http://www.anthropologieenligne.com)

Or comme nous étions non loin de la côte, à dix lieues environ de l’endroit d’où nous étions partis, lesdites caravelles découvrirent un récif formant un port excellent et très sûr, avec une large entrée; elles y pénétrèrent et mirent en panne, les nefs les rejoignirent, et peu avant le coucher du soleil, à une lieue environ du récif, elles amenèrent les voiles et jetèrent l’ancre par 11 brasses de fond. Or Afonso Lopes notre pilote, se trouvant dans l’une des caravelles par ordre du commandant, en homme décidé et plein de ressources qu’il était, sauta aussitôt dans le canot pour sonder l’intérieur du port et y fit monter deux de ces hommes de l’endroit, jeunes et bien faits, qui étaient dans une pirogue; l’un d’eux tenait un arc et six ou sept flèches et sur le rivage il y en avait beaucoup avec leurs arcs et leurs flèches et ils n’en firent pas usage. Le pilote les conduisit sur‑le‑champ la nuit étant déjà tombée, auprès du commandant où on les reçut avec grand plaisir et où on leur fit fête.
Voici comment ils sont : la peau cuivrée tirant sur le rouge, de beaux visages, des nez beaux et bien faits. Ils sont nus sans rien pour se couvrir : ils ne se soucient nullement de cacher ou de montrer leurs parties honteuses : ils ont sur ce point la même innocence que pour ce qui est de montrer leur visage. L’un comme l’autre avaient la lèvre inférieure percée, avec chacun un ornement blanc en os passé dedans, long comme la largeur d’une main, gros comme un fuseau de coton, acéré au bout comme un poinçon : ils les introduisent par l’intérieur de la lèvre, et la partie entre la lèvre et les dents est faite comme la base d’une tour d’échecs : ils les portent coincés là de telle sorte que cela ne leur fait pas mal et ne les gêne ni pour parler, ni pour manger, ni pour boire. Leurs cheveux sont lisses et ils étaient coupés, mais coupés courts plutôt que ras. et tondus jusqu’au‑dessus des oreilles; et l’un d’eux portait sous ses mèches d’une tempe à l’autre par‑derrière une sorte de perruque de plumes jaunes qui pouvait avoir une coudée de long, très épaisse et très touffue, qui lui couvrait la nuque et les oreilles : elle était collée aux cheveux plume par plume avec une substance molle comme de la cire, mais qui n’en était pas, de sorte que la perruque était bien ronde, bien fournie et bien régulière et qu’un lavage n’était pas nécessaire pour la retirer.

Lettre du Brésil de Pero Vaz de Caminho au roi Dom Manuel, mai 1500, traduction de Bernard Emery

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la bibliothécaire

Posté : 23 juillet, 2009 @ 9:29 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 7 commentaires »

 

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*

Avait-il prévu tout cela ? Avait-il prévu le plaisir que provoquait en lui sa compagnie ? Inconsciemment, mais sans doute que oui, sinon pourquoi s’était-il toujours senti si enclin à l’éviter ? Il s’était tendu à lui-même le piège de l’éviter depuis le début, pour en ressentir ensuite du remords et se mettre alors à sa disposition comme s’il s’agissait d’une expiation. La rançon de sa naïveté était là. Il était venu à N. chercher le silence et la solitude qu’il pensait ne trouver que dans sa vieille terre ; il était venu à N. pour oublier ces derniers mois pendant lesquels il avait compris que tout s‘était terminé pour lui au fond d’un couloir qu’il se remémorait toujours en rêve ; pendant lesquels il avait acquis la conscience d’être à peine plus qu’un coureur qui arrive, inutile, au bout de lui-même, pour trouver finalement à N. ce qu’il désirait le moins : quelqu’un qui pourrait lui dérober, placidement, son propre silence.
« Qu’est-ce que je lui trouve ? », s’entendit-il demander, maintenant qu’il reconnaissait cette évidence qu’il avait niée depuis son arrivée.
La jovialité, la paix qui se résume à être là, la douceur du visage et des paroles qui nous calment sont des arcanes qui ne se révèlent pas. Elles sont.
Elle lui avait demandé s’il avait aimé le repas et elle avait souri, s’excusant de quelque chose qu’il n’avait pas compris. Et lui avait souri aussi, en répondant que tout avait été…
- C’est la première fois que je vous vois sourire ainsi, Monsieur le Professeur.
… très bien.
A quel moment perdons-nous nos illusions ? Comme les certitudes, les tempêtes et les affections, il est vrai que tout arrive lentement, suffisamment lentement pour durer, tout au moins jusqu’à ce qu’une gifle plus forte dans le visage hier encore vivant nous révèle que nous sommes arrivés au bout du couloir, et qu’il n’y a pas de porte de sortie ni de chemin du retour.
« Tu n’as fait que te tromper dans le parcours, bien que tu ne comprennes pas ce qui a raté, ni dans quel couloir de la vaste maison qu’est ta vie tu n’as pas pris la bonne direction. »
L’Histoire n’est pas une science compatible avec la morale.
- Il commence à se faire tard. Je dois vous déranger depuis longtemps.
- Oh, par exemple… On dirait presque que vous m’évitez. Vous m’évitez, Monsieur le Professeur ?
Il la regarda dans les yeux…
- Pourquoi le ferais-je ?
… car il pensa qu’il devait la regarder dans les yeux en lui répondant.
Elle perdit son sourire.
- Excusez-moi. Je n’aurais pas dû dire ça.
Et ce fut elle alors qui détourna le regard, comme un disciple pris en faute. La soumission est une arme puissante. Comme toujours, le Professeur en sait plus que les disciples sur le sujet en question ; mais comme toujours aussi, ceux-ci vainquent ce handicap en étant bien plus astucieux que lui. Il tenta de mentir d’une façon convaincante.
- Non, je ne vous évite pas. Je ne fais que chercher un peu de repos. Le temps me pèse. Ce n’est pas seulement à cause des parchemins que je me suis éloigné de l’université. Finalement ce que je voulais le plus, c’était revenir ici et…
Ecoutez, peut-être que l’étude et la publication des parchemins ont été une bonne excuse pour moi.
- Je ne veux pas vous forcer.
- Vous ne me forcez pas. Je vais lentement. Finalement j’ai près du double de votre âge. Je ne cours plus.

Sérgio Luís de Carvalho, El-Rei Pastor, Campo das Letras, 2000

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Repos

Posté : 22 juillet, 2009 @ 6:30 dans - époque contemporaine, littérature et culture, Poesie | 2 commentaires »

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Tendresse, photo de Dimíter Ánguelov

(tes ailes silencieuses légèrement reposent
sur mes yeux
et recouvrent mes peurs)

là-dehors c’est la rue;
il y a un cri de chaux
strident comme un klaxon
et des têtes passent
poignardées par le soleil

ici – tes ailes
immenses et vaporeuses
apaisent le climat…

il y a une guerre là-dehors ;
notre amour contre la guerre ?
- du sang jeune debout
pour notre amour

ah, tes ailes tranquilles me protégent;
je n’entends plus les bombes …

quand je sortirai, amour
je serai plus fort pour le combat.

João Melo, in Voz poeticas da lusofonia,

(http://www.revista.agulha.nom.br/1jmelo.html)

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Prix de littérature de l’UE

Posté : 20 juillet, 2009 @ 5:18 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 3 commentaires »

Les noms des douze auteurs européens qui recevront le tout premier prix européen de littérature ont été annoncés le 16 juillet dernier par la Commission européenne, la Fédération des libraires européens (European Booksellers Federation, EBF), la Fédération des associations européennes d’écrivains (FAEE) et la Fédération des éditeurs européens (FEE).

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Pour le Portugal, la lauréate est Dulce Maria Cardoso pour Os meus sentimentos, Asa, 2005 (En français Les anges, Violeta, 2006,  éditions Esprit des Péninsules)

En voici un extrait :

et si à partir d’aujourd’hui tout était réellement différent, le carrefour que je connais par mes cartes de géographie, j’ai toujours collectionné les cartes, c’est à dire, il y a longtemps que je collectionne les cartes, des centaines de cartes chez moi, usées, immaculées, peu importe, sur les cartes je choisis les chemins sans peur, je fais des tours et des tours de mes mondes de papier, je vais partout, à des endroits auxquels je n’associe ni un paysage, ni un visage, ni une fleur, rien, des pays qui n’existent que pour satisfaire mon désir de partir par les après-midi très chaudes, j’étale les cartes sur le sol de ma chambre, je ne veux rien savoir sur le monde, je n’ai jamais voulu savoir, les après-midi très chaudes, je ferme les volets et mon corps se couvre de fils d’ovales lumineux, un tas de points de lumière disposés géométriquement, je passe des après-midi d’été entières à voyager, je m’approche du carrefour, des quatre chemins numérotés, la pluie tombe translucide au pied des lampadaires de ciment, des fils d’eau scintillants, une pluie de vers-luisants, et si je changeais de destination, et si j’abandonnais


chauvinisme

Posté : 15 juillet, 2009 @ 9:38 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

 

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Plage typique, détail (tissu appliqué d’Evelyne Régnault)

J’étais en train d’observer les nuages – des nuages si éparpillés et si arrondis que le ciel semblait parsemé de haricots blancs, lorsque quelqu’un à côté de moi demanda :
- Vous êtes de loin ?
- De loin, oui, répondis-je, et j’abrégeai en pointant du doigt un nuage.
- Moi, je suis de Notre Ville.
- Ça ne m’étonne pas.
- Notre ville est située sur la pente d’une petite île. Dans la pratique il est difficile de distinguer la pente de la ville. Les cinq rivières qui traversent notre ville s ‘appellent toutes « Notre Rivière ».
- Amusant…
- Les tavernes de la partie Sud s’appellent Taverne du Nord. Une allusion aux coutumes du Nord. En vérité, nous n’avons pas vraiment de Nord parce que les falaises du Nord sont si abruptes, presque verticales, que nos oiseaux ont du mal à y nicher. Mais on en use d’une façon symbolique. Les maisons s’appellent « notre maison », mais il y a des exceptions. Certaines s‘appellent « notre foyer », les cafés, « le doux foyer ». Notre plus grand centre commercial s’appelle tout simplement « notre centre », mais c’est une exception. Nos enfants vont à « Notre Ecole ». Ils se retrouvent quelquefois dans d’autres de nos écoles, les pauvres petits, mais en fin de compte c’est la même chose. Notre vie est ainsi. Nous nous sentons comme une famille qui a ses conflits latents et même réels lorsque, par exemple, quelqu’un, par erreur ou par inadvertance, n’entre pas dans le bon « Foyer de notre Grand -Mère ». Mais « Notre Tribunal » résout ces problèmes dans « Notre Bar », et tout se perd et s’oublie dans « Notre Nuit ».
- Qu’est-ce que c’est que cette « Notre Nuit » ?

(more…)

L’appelé

Posté : 13 juillet, 2009 @ 9:06 dans - époque contemporaine, musique et chansons | 4 commentaires »

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Marina Lima, (Rio de Janeiro) O chamado

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