Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 2 juillet, 2009

Génie civil

Posté : 2 juillet, 2009 @ 9:28 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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(Association Loja dos sonhos, Evora)

Un jour je me suis aperçu qu’il ne me venait des histoires à l’esprit que lorsque je voyageais dans les transports publics, c’est à dire quand j’étais dans des conditions précaires, tout en perdant beaucoup parce que ce qui suscitait mon intérêt était la même chose que ce qui me distrayait et rendait mon écriture irrégulière, fragmentée et illisible. Je fis alors le projet d’un voyage transatlantique. Tout se passa très bien jusqu’au moment où je pensai que je devais réveiller mon inspiration et me jeter à l’eau. Mais la seule chose qui me venait à l’esprit, une image immuable, était celle où je me voyais dans un autocar dans les rues de Lisbonne, essayant d’écrire une histoire sans tomber ni me laisser distraire par la vue de quelqu’un qui avait déjà perdu l’équilibre. Devant cette obsession massive je décidai de faire une description détaillée de l’autocar en pièces détachées, y compris celles qui avaient déjà disparu, jusqu’à la plus petite pièce du moteur que je pensais pouvoir imaginer. A mon retour j’avais déjà près de six cents pages et la rédaction finale, en pratique, ne dura pas plus que le temps d’un voyage régional. Quinze jours après la remise du manuscrit on me communiqua que la maison d’édition, conformément aux prérogatives du contrat, l’avait vendu à la General Motors et que d’ici un mois je recevrais les 8% d’un tirage symbolique de dix mille exemplaires. On ajoutait que mon nom serait mentionné, à côté de celui de la maison d’édition, sur le brevet de « l’autocar du futur », pour l’invention duquel on me félicitait, en formant des vœux pour de nouveaux succès dans le domaine de la fiction. J’éprouvai un sentiment mitigé, car, si mon œuvre n’avait pas été appréciée comme telle, du moins avais-je été reconnu en tant qu’inventeur, bien que je ne sois pas l’unique détenteur du brevet. Et comme une maison d’édition, malgré son mérite avéré et son prestige, ne pouvait être qualifiée de géniale, c’était à moi que revenait cet adjectif, ce qui me plaçait en tête de la liste des innombrables inventeurs nationaux, dont la plupart n’étaient pas reconnus dans le pays.

 

 

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