Paranoia
- Vous avez des herbes de Provence ? demanda quelqu’un à côté de moi.
- Nous n’avons que des produits du pays !
« Voilà que nous aspirons à récupérer aussi la Provence, après la Galice ? », pensai-je, et mon doute fit un bond par-delà les Pyrénées.
- Je ne me souvenais pas que nous avions une frontière commune avec la France, dis-je, pour ne pas me montrer indifférent à un problème national.
- Et alors, bien sûr ! Il y a là-bas plus d’un million de nos compatriotes. S’ils se donnaient la main ils feraient le tour de la moitié de l’Europe…
- Voyons voir. Un million multiplié par un mètre soixante (en moyenne, à cause des enfants, les bébés ne comptent pas) cela fait un million soixante mille mètres. Non, ça ne suffit pas. Encore moins si c’est…
Mais à ce stade mon raisonnement s’interrompit. J’eus un sursaut de terreur : c’était une pensée nationale, qui n’en était pas moins provinciale. J’avais lu dans un livre comment dans l’ancien temps on conquérait des pays et des territoires étrangers en y semant des mauvaises herbes.
- Vous avez des mauvaises herbes ? demandai-je.
- Dans le magasin d’à côté, me répondit-on promptement.
Je sortis en direction de ce qui me semblait être à côté. C’était un magasin d’armes. Je comprenais : j’avais répondu au mot de passe sans le vouloir, et j’étais déjà impliqué dans une conspiration dont je n’avais pas la moindre idée.
Dimíter Ánguelov, Partida incessante, Nova Ática , 2001