Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

jeu de la vérité

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 19 août, 2009 @ 7:05

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Soirée de fête (Aquarelle de Ana Diogo)

Mitó n’a pas dit la vérité. Un gage, un gage. Un gage pour Mitó, et c’est Mila qui décide. Elle ne se défendait déjà plus, elle souriait, le restaurant entier était à l’affût de sa réaction.
- Alors maintenant, comme gage, tu vas à la table de l’Allemand et tu lui dis comme ça : wollen Sie mit mir schlafen ?
Eclats de rire, sifflets, Mitó criait que non. Je sais même pas ce que ça veut dire. Oh les mecs, déconnez pas, qu’est-ce que vous voulez que j’aille dire à ce type ? Non, non, je suis désolée mais je lui dis pas ça. Sa voix de contralto résonnait au milieu du brouhaha de celle des autres, au fond le patron commençait à froncer le sourcil. Ces jeunes, à peine ils ont bu un peu, voilà le résultat. Pendant une fraction de seconde, les yeux très bleus s’étaient fixés dans ses yeux bruns, clignant aussitôt tristement des paupières derrière les lunettes. Si ironique. Si distant. Aïe les filles, si beau.
- Alors d’accord, dis-lui la même chose en portugais, comme ça il comprendra pas. Mais tu dois le dire bien fort, nous ici on veut l’entendre. Sinon ça compte pas.
Mitó avait oublié le pantalon de flanelle. Elle s’est levée en choisissant soigneusement ses mouvements, maintenant qu’elle était l’objet de l’attention générale. Elle parlait les yeux baissés, timide héroïne de la nuit.
- Oui, mais je sais toujours pas ce que c’est que tu veux que je lui dise…
- Eh bien, la même chose. Mais en portugais : tu veux coucher avec moi ?
- Quoi ?

Et Chouriço riait, riait, en redemandait, il s’agitait, impatient, dans son coin. Ils avaient tous bien bu, bien mangé. [...] Mitó était le centre de tous les regards, je parie que tu y vas pas. Va, va, tout le monde te regarde. Mitó au centre de la soirée, demain on va parler d’elle à Cuba, à Beja, à Baleizão. Mitó qui souriait, presque sans peur.
- Bon. Mais quand je le dirai, c’est pas la peine de traduire.
- Ah, ça non, nous ici on fait comme on veut.
- Et si j’y vais pas ?
- On te jette dans la piscine. Après tu te débrouilleras avec ta mère, quand tu rentreras à la maison toute mouillée.
- Oh, les filles. Et s’il comprend le portugais ?
- Tu as déjà vu un Allemand qui comprend le portugais ?
- Le mari de Zeta, oui.
- Oh, fille, ça c’était avant, quand les Allemands parlaient portugais. Il y a même eu une époque où les animaux parlaient, figure-toi. On va compter jusqu’à trois. Ou tu y vas, ou tu passes dans la piscine.
Un grand silence s’est fait à l’intérieur du restaurant à la fin du comptage. Mitó, déjà plus courageuse, souriait, à mi-chemin entre les deux tables. Continuez à parler, alors. Il faut que ça paraisse naturel. J’y vais. Vous me pardonnez, monsieur, n’est-ce pas ? C’est un jeu, ils m’ont donné – ils m’ont donné cette punition, que voulez-vous ? La table des Allemands était envahie de verres et de bouteilles, les marques des boissons descendaient en plusieurs niveaux le long des verres pansus. Il restait des traces de l’alcool dans leur haleine, dans le poids de leurs paupières, dans cette manière lente de toiser la gamine très brune, avec son étrange voix de contralto, qui venait après des hésitations répétées de poser la paume de sa main gauche sur la nappe tachée. Elle portait une montre ronde, aux grands chiffres dessinés en noir sur le cadran gris. Elle ne regardait personne en face, mais il était évident qu’elle ne parlait que pour Helmut.
- Tu veux coucher avec moi ?
Il a croisé les bras et repoussé la chaise contre le mur. Il a incliné légèrement le cou, maintenant ses yeux bleus, immenses, sans pitié, étaient complètement prisonniers des siens. Et il ne souriait pas.
- Oui, je veux bien, princesse.

Clara Pinto Correia, Adeus, princesa, Relógio d’Água, 1985

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3 commentaires »

  1. jadelame dit :

    Un petit riste,
    pour un grand Amour ;)
    Enfin, j’espère !
    Bisous tout plein
    Jade

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  2. jadelame dit :

    Oups ;)
    « risque »

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  3. lusina dit :

    Hélas, Jade, l’histoire finit très mal…

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