Les danseurs
[journée du 26 avril 1500]
Le Capitaine général poursuivit son chemin en remontant le cours de la rivière, laquelle court toujours à peu de distance de la plage. Il y avait là un vieillard qui nous attendait, avec une pagaïe à la main. Le Capitaine s’étant approché, entouré de nous tous, le vieillard lui parla, mais personne ne le comprit, pas plus qu’il ne nous comprit lui même, à toutes les questions que nous lui posions à propos de l’or, car nous souhaitions savoir s’il y en avait dans le pays. Il avait la lèvre si largement fendue qu’on aurait pu y passer le pouce. Il portait dans l’orifice une pierre verte, de piètre qualité, qui le fermait de l’extérieur. Le Capitaine lui demanda de la retirer. Et seul le diable sait ce qu’il lui répondit, mais il essaya de la placer dans la bouche du Capitaine; ce qui nous fit quelque peu rire. Sur ce, le Capitaine se froissa et il s’écarta du vieillard. Un des nôtres lui donna en échange de la pierre un vieux chapeau, non point qu’elle valût grand chose, mais c’était une curiosité. Elle arriva ainsi entre les mains du Capitaine, qui, je crois, la fit ajouter aux choses qu’il doit remettre à votre Majesté.
Nous fûmes en reconnaissance en suivant la rivière, dont l’eau est abondante et excellente. Il y a sur ses rives de nombreux palmiers, pas très hauts; on en peut manger le coeur. Nous en avons coupés et mangés un grand nombre.
Le Capitaine redescendit alors jusqu’à l’embouchure de la rivière, là où nous avions débarqué.
De l’autre côté de ladite rivière, il y avait un grand nombre de ces gens, qui dansaient et se réjouissaient entre eux, ce qu’ils faisaient fort bien, sans se prendre les mains. Diogo Dias, qui fut jadis collecteur de la dîme royale à Sacavém, franchit alors la rivière. C’était un homme enjoué et ami du plaisir. Il emmena avec lui un joueur de cornemuse, avec son instrument, et il se joignit à eux, dansant et les prenant par la main. Et eux se réjouissaient et riaient, au son de la cornemuse, s’entendant fort bien avec lui. Après avoir dansé, il leur fit sur place maintes pirouettes et un saut périlleux, dont ils rirent et s’étonnèrent fort. Tout cela les réjouissait grandement. Cependant, ceux qu’il avait côtoyés et divertis par tout cela s’enfuirent soudain comme sauvages et remontèrent la rivière.
Le Capitaine la traversa alors avec nous tous et nous allâmes jusqu’à la plage, que nous longeâmes à quelque distance du rivage…
Lettre du Brésil de Pero Vaz de Caminho au roi Dom Manuel, mai 1500.
Traduction de Bernard Emery
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